Trop c’est trop. Catherine, retraitée du secteur médico-social, qui habite Béziers est une habituée de la Médiathèque André Malraux. Elle apprécie ce lieu unique dans la ville où toutes les populations se mélangent et trouvent matière à apprendre et s’informer, se divertir et goûter aux mots et aux images dans ce lieu de culture et de lecture. Il faut dire que Béziers bénéficie d’un espace de médiathèque particulièrement riche et propice à l’ouverture culturelle, grâce au travail précieux des équipes.
Catherine aime particulièrement l’ambiance calme, paisible qui règne à la Mam.
Le lendemain des événements du 7 octobre 2023, le maire de la Ville affiche son soutien aux victimes et aux otages à travers Béziers, notamment sur les abribus. Les affiches représentent le drapeau israélien avec la simple mention « Soutien à Israël ». Robert Ménard justifie cet affichage notamment par le jumelage de Béziers avec la ville de Nir Oz, dont seraient originaires deux otages franco-israéliens. A partir de novembre 2023 les portraits de 200 otages du Hamas ornent la façade de la mairie.
Les usager.es et les salarié.es de la Mam découvrent également les affiches de soutien à Israël au sein de la médiathèque: à l’entrée, au point jeune, dans l’escalier central.
Est-ce l’habitude du président de l’Agglomération de garnir les murs de la Mam des affiches dont il couvre la ville et l’agglomération ? Non, c’est plutôt inhabituel. A la même période on trouve néanmoins pendant un mois l’affiche rose bonbon figurant Barbie, profitant des commerces du centre-ville pour « faire plaisir à Ken ». La « pépite sexiste » fait le tour des réseaux.
Catherine, très choquée, en colère, hésite à écrire à la direction de la Mam pour dénoncer cette atteinte à la neutralité de la Médiathèque, comme l’ont fait d’autres usager.es dans le cahier des doléances, qui ont été invité.es sous forme de réponse type à s’adresser au président de l’Agglomération. Les affiches incriminées resteront suspendues aux murs de la Mam pendant plusieurs mois, quoi qu’en pensent ses usager.es ou salarié.es.
Un an plus tard à la date anniversaire du 7 octobre le maire de Béziers affiche sur la façade de la mairie le dessin d’un chandelier à 7 branches sur fond bleu et blanc aux couleurs du drapeau israélien et l’inscription : « N’oublions jamais le pogrom du 7 octobre 2023 ». Il organise également une conférence au sein de la Médiathèque qui se présente comme un « retour sur le massacre du 7 octobre ». L’affiche, présente dans la Mam, porte en gros titre la mention « Les terroristes du Hamas », censément représentés par une photographie d’hommes masqués en treillis et en armes. L’invité de cette conférence est Hervé Béguine, un ancien de Reporter sans frontières, qui sort un livre sur les massacres du 7 octobre, « Les assiégés ». Une séance de dédicaces et de vente est prévue. La conférence a été l’occasion pour Robert Ménard de prendre position en faveur de la politique d’extrême droite du Premier ministre israélien dans le conflit israélo-palestinien, suggérant que certaines vies ont plus de valeur que d’autres ou déclarant que toute la gauche est antisémite.
Que la ville de Béziers serve d’arène politique à Robert Ménard n’est pas nouveau. Le palais des Congrès accueillit à sa première mandature les conférences « Béziers libère la parole », où furent invités les seuls tenants de l’extrême droite française.
Mais Catherine est de nouveau profondément heurtée par cette irruption du politique dans un espace dédié aux services publics et à la culture. Rappelons que la loi du 21 décembre 2021 insiste sur l’obligation de neutralité des médiathèques.
Les « missions » des bibliothèques « s’exercent dans le respect des principes des courants de pluralisme des courants d’idées et d’opinions, d’égalité d’accès au service public et de mutabilité et de neutralité du service public. » (Loi n°2021-1717 du 21 décembre 2021 relative aux bibliothèques et au développement de la lecture publique.)
Catherine décide cette fois de rédiger un courrier à la direction de la Mam, qui la renvoie vers le président de l’Agglomération. Elle n’est pas seule à être blessée par cette atteinte à la neutralité, qui contrevient à la pluralité d’opinions et à la sérénité du lieu. D’autres usager.es se joignent à elle, beaucoup de femmes, pour rédiger une adresse au président de l’Agglomération. Régine, Anne, Jean-Marc, Monique, Véronique etc… signataires du courrier, se constituent en collectif, « les ami.es de la Médiathèque », pour dénoncer « ce positionnement partial en faveur de l’un des pays en conflit » : « Nous tenons à vous exprimer à quel point nous sommes heurtée.es » par l’imagerie violente et provocatrice qui prend place de plus en plus souvent au sein de la médiathèque », notamment « en face du pôle enfance ». Le festival Grands Zyeux Ptites Zoreilles rivalise avec un triste festival que l’on pourrait nommer « Grandes gueules petites cervelles », peut-on lire dans le courrier, qui restera- on s’en doute- sans réponse.
Suit la mise en ligne d’une pétition réclamant « l’arrêt de cette propagande dans notre belle médiathèque et le retour à plus de sérénité ». Des tractages ont lieu pour faire signer la pétition et alerter sur cette atteinte à la neutralité.
Que Robert Ménard, en tant qu’homme politique exprime et défende une opinion dans ses déclarations ou sur les plateaux de télévision ou de radio, c’est le propre de la démocratie. Mais que sa position de premier édile l’amène à utiliser l’argent et l’espace publics pour propager ses opinions et sa lecture d’événements internationaux, sans tenir compte de l’obligation de neutralité et de pluralité des opinions, est une atteinte manifeste à la loi. Il n’en est pas à son premier coup d’essai.
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