« Mon cher D’Annunzio, Pedrazzi vous a sans doute déjà dit ce que je pense de la situation en général. Ici, nous nous enfonçons dans un marécage de papier. C’est triste, mais inévitable. Les élections constituent un prétexte magnifique pour la criante et immonde spéculation socialiste. Elles sont, pour nous, un moyen de nous réunir et de nous camoufler. J’ai enfin réussi à bâtir quelque chose. Nous organisons des équipes de vingt hommes chacune, dotées d’une sorte d’uniforme et d’armes, aussi bien pour revendiquer notre liberté de parole que pour les évènements à propos desquels nous attendons vos ordres. Dans l’ensemble, la situation est compliquée, il lui manque la coordination et le synchronisme du mouvement. Nous autres des grandes villes seront facilement submergés par la vague socialiste ».

Lettre de Mussolini à D’Annunzio, 30 octobre 1919

Mussolini atteint Fiume le 7 octobre 1919, presque un mois après la « marche sacrée » qui a lancé le processus d’annexion. On prétend que D’Annunzio compte s’en servir de base pour une vaste opération de conquête vers l’est, Zara, la Dalmatie, Split. On prétend aussi, avec davantage d’insistance, que le Commandant D’Annunzio prépare plutôt une « marche à l’intérieur » vers l’ouest, Pola, Trieste, Venise et enfin Rome, pour abattre la monarchie et instaurer une dictature militaire avec la complicité du duc d’Aoste.

Une chose est certaine, le Commandant n’a pas encore bougé.

Mussolini hésite, lui aussi. Fin septembre, de retour de Venise, il semble avoir épousé totalement le fanatisme D’Annunzio. Il a parlé d’une « révolution en marche » entamée à Fiume, qui peut se conclure à Rome. Il a enjoint au Parlement de voter pour l’annexion. Il l’a menacé à son tour : « Ou l’annexion dans un bref délai, ou la guerre civile entre l’Italie des combattants et celle des parasites ».

Tel est le plan que Mussolini propose à D’Annunzio. Mais il ajoute qu’il convient d’attendre les élections du 16 novembre avant de le mettre en œuvre.

Comme il serait bon de se réveiller à l’aube et d’envoyer tout au diable, de monter dans un coupé rouge et de marcher sur Rome à la tête d’une nouvelle génération, d’une colonne de combattants, de jeunes gens de vingt ans, d’Arditi ! Le délire violent du poète D’Annunzio est séduisant, magnifique, on en a les larmes aux yeux, mais il n’a rien à voir avec la politique.

La politique requiert le courage grossier et mauvais des combats de rue, non le courage aérien des charges de cavalerie.

La politique, c’est l’arène des vices, non des vertus.

Elle n’a besoin que d’une vertu, la patience.

Pour arriver à Rome, il faudra d’abord interpréter cette parodie sénile, se faire entendre du sanhédrin des vieillards, cette demi-douzaine de gâteux, de naïfs et de canailles qui gouvernent le monde.

 

( Extraits de lecture du livre d’Antonio Scurati ‘’M l’enfant du siècle’’ éditions Les Arènes )

 

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