Bien avant les exactions du 7 octobre 2023 provoquées par le Hamas, le sionisme a planifié dans le temps le nettoyage ethnique de la Palestine. L’histoire de cette planification est racontée dans cette nouvelle série hebdomadaire.
Le sionisme est apparu à la fin des années 1880 en Europe centrale et orientale en tant que mouvement de renaissance nationale. Il voulait faire face aux pressions croissantes qui s’exerçaient sur les Juifs de ces régions, sommés de s’assimiler totalement ou de s’exposer à une persécution permanente.
Au début du 20e siècle, la plupart des dirigeants sionistes associaient cette résurrection nationale à une colonisation de la Palestine.
« Eretz Israël », le nom de la Palestine dans la religion juive, avait été vénéré au fil des siècles par des générations de Juifs en tant que lieu de saint pèlerinage, jamais comme un futur État séculier. Leur tradition et leur religion demandaient clairement aux Juifs d’attendre la venue du Messie, promise à « la fin des temps ».
Le sionisme a de fait laïcisé et nationalisé le judaïsme. Pour mener à bien cette mutation, les sionistes ont revendiqué le territoire biblique et l’ont recréé, réinventé, en berceau de leur nouveau mouvement nationaliste.
De leur point de vue, la Palestine était occupée par des « étrangers », et il fallait en reprendre possession.
Pour les premiers sionistes qui sont arrivés en Palestine en 1882, ce territoire n’était même pas un pays « occupé », c’était une terre « vide ». Les Palestiniens qui l’habitaient étaient invisibles à leurs yeux, ils faisaient partie des obstacles naturels qu’il fallait vaincre et écarter.
Jusqu’à l’occupation de la Palestine par la Grande-Bretagne en 1918, le sionisme a été un mélange d’idéologie nationaliste et de pratique colonialiste. Son rayon d’action était limité (à cette époque, les sionistes ne représentaient pas plus de 5 % de la population totale du pays).
Vivant en colonies, ils n’avaient pas d’impact sur la population locale, qui ne remarquait pas particulièrement leur présence.
Le risque d’une future mainmise juive sur le pays et d’une expulsion du peuple palestinien n’était pas clairement perçu par les dirigeants palestiniens avant la Première Guerre mondiale.
Des documents historiques montrent que dans les années 1905 – 1910, plusieurs notables palestiniens définissaient le sionisme comme un mouvement politique dont le but était d’acheter des terres, des biens et du pouvoir en Palestine. Son potentiel de nuisance n’était pas clairement compris et était plutôt assimilé à une offensive missionnaire et colonialiste européenne.
Au fil des années du mandat britannique, le sentiment d’un péril imminent, d’une catastrophe s’est imposé aux intellectuels palestiniens. Il ne s’est toutefois jamais traduit par des préparatifs adaptés au danger existentiel qui menaçait leur société.
Au même moment, avant l’occupation britannique de la Palestine à la fin de 1917, les sionistes restaient vagues quant à leurs projets réels. Non par indécision, mais par sens tactique. La communauté d’immigrants juifs était encore réduite, et elle risquait à tout moment d’être expulsée par le gouvernement turc d’Istanbul.
Dans leurs débats internes, les sionistes prévoyaient pourtant la création d’un État juif en Palestine pour échapper à une histoire de persécutions et de pogroms en Occident.
Dans cette première séquence historique, les premiers colons sionistes consacraient l’essentiel de leurs énergies et de leurs ressources à l’achat de terres. Ils essayaient d’entrer sur le marché local du travail afin de créer des réseaux sociaux et communautaires capables de soutenir leur groupe réduit et économiquement vulnérable.
Les stratégies précises autour de la meilleure méthode pour s’emparer de toute la Palestine et y créer un État-nation (ou pour le faire sur une partie du territoire) sont venues plus tard, en lien étroit avec les choix britanniques pour résoudre un conflit que la Grande-Bretagne va en définitive exacerber.
Cette série sur le nettoyage ethnique de la Palestine est réalisée à partir d’extraits de lecture du livre d’Ilan Pappé « Le nettoyage ethnique de la Palestine », édité aux éditions « La Fabrique », 370 pages, 20 euros. Je vous en recommande vivement l’achat et la lecture. Le second épisode de cette série, la semaine prochaine portera sur les « accords » Balfour.