Le 12 novembre 1984 , voilà exactement 41 ans, s’éteint à Moraira en Espagne, l’écrivain noir américain Chester Himes.
Né 75 ans plus tôt à Jefferson (Missouri) dans une famille d’enseignants Afro-américains, il tombe un jour dans une cage d’ascenseur vide et en restera légèrement handicapé : il sera obligé de porter un corset. Il entame des études supérieures en 1926 grâce à sa pension d’invalidité mais finance également ses études en étant liftier et barman. Il est rapidement exclu de l’Université pour avoir entraîné d’autres étudiants dans des salles de jeu clandestines. A 19 ans, il traîne parmi les arnaqueurs et les maquereaux avec une bande de voyous de Cleveland, il supervise même une table de blackjack, revend de l’alcool clandestin et rencontre sa première femme lors d’une opium party.
Il finit par se faire arrêté en 1928 pour vol à mains armés. résultat : vingt ans de prison !
Durant son séjour carcéral, il découvre dans la bibliothèque la littérature de Chandler, auquel il sera souvent comparé, mais aussi les romans de Dostoïeski. Il se procure alors une Remington et commence à écrire

En 1934, il publie sa première nouvelle alors qu’il est encore sous les verrous. Dès lors les textes se suivent, où il s’attache à décrire la condition du Noir américain pour le Cleveland Daily News. Sa bonne conduite lui permet d’être libéré après avoir purgé seulement sept ans de sa peine.
En 1945, paraît son premier roman S’il braille, lâche-le qui rencontre un vif succès. Il y raconte la peur et l’humiliation d’un ouvrier noir victime du racisme sur une base de la défense lors de la seconde guerre mondiale. Il est suivi par La croisade de Lee Gordon en 1947, qui met en scène un jeune Noir idéaliste dans le monde syndical et politique ; cette œuvre lui met à dos les Noirs, les Blancs libéraux et les conservateurs patriotes. La troisième génération est une autobiographie romancée qui fâchera sa famille contre lui.
Dans tous ces livres il tente de porter la parole des Noirs sans la trahir. Tous ces romans réalistes sont d’une impitoyable lucidité et d’une rare maîtrise mais ces oeuvres fortes arrivent trop tôt dans l’Amérique maccarthyste des années 50.
Fatigué par le racisme ambiant, il s’installe à Paris en 1953 où il commence à être publié. De 1953 à 1955 paraissent entre autres Qu’on lui jette la première pierre, basé sur son expérience en prison, ou La Fin d’un primitif, histoire d’amour autobiographique entre un auteur noir raté et une femme d’affaires blanche.
En 1957, rencontre décisive avec Marcel Duhamel – fondateur de la collection Série noire aux éditions Gallimard. Sur ses conseils et pour pouvoir vivre, Chester Himes change son orientation et écrit ses premiers romans policiers. La Reine des pommes paraît en 1958 et obtient le Grand prix de littérature policière. Il en fera paraître 7 de 1958 à 1961
Y apparaissent pour la première fois les deux fameux inspecteurs de police de Harlem, Ed Cercueil et Fossoyeur Jones. Tous ces romans se déroulent à Harlem dont il donne une peinture à la fois féroce et attendrie : univers burlesque à mi-chemin entre Rabelais et Mark Sennet où les gangsters tiennent le haut du pavé. Chacun cherche à s’échapper à son sort par la drogue, le jeu ou la religion et les personnages sont pris dans des combines invraisemblables et dans des poursuites effrénées. Ses deux héros, policiers noirs désabusés arpentent, goguenards ce monde bariolé et cruel. Ils y débusquent la crapulerie et dénoncent la violence tout en y recourant : un témoignage percutant sur la condition noire aux Etats-Unis.

On revoit les deux inspecteurs bien plus tard dans l’Aveugle au pistolet en 1969. Mais dans cette œuvre ils ne sont plus, qu’un fil de liaison (leur enquête n’aboutira jamais) unissant de multiples intrigues sans rapports entre elles dont l’enchevêtrement même symbolise la confusion dans laquelle la communauté noire (l’aveugle du titre) se débat pour être elle-même face à l’Amérique blanche.
Ses écrits, dont quelque soixante-dix nouvelles, dénoncent avec constance la condition des Noirs et le racisme, mais développent également une analyse très critique sur le regard que la communauté noire pose sur elle-même et sur sa propension à se réfugier dans la croyance religieuse aveugle ou dans la voie de l’illégalité.
Il est malade pendant la plus grande partie des années 70 mais continue malgré tout à publier.
Ses derniers romans, violents et à nouveau plus politiques, seront appréciés des Black Panthers (Le Plan B). Il écrit plus tard, deux livres autobiographiques rassemblés en traduction française sous le titre Regrets sans repentir ainsi que deux recueils de nouvelles.
Installé en Espagne à partir de 1965, il meurt à Moraira dans la province d’Alicante, à l’âge de 75 ans.
Une citation de Chester Himes pour finir
« Tout être humain, quelles que soient sa race, sa nationalité, sa foi religieuse ou son idéologie, est capable de tout et de n’importe quoi.»
L ’actualité lui donne malheureusement raison …
… mais c’est une autre histoire
Écouter l’article avec illustration musicale



























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