Devoir de mémoire : Unamuno, un intellectuel face au fascisme

par | 17 décembre 2022 | Société

Septembre 1936, la ville de Salamanque est choisie comme quartier général de Franco qui vient d’être nommé commandant en chef des forces armées, Généralissime et chef de l’État. Salamanque est aussi le siège de l’université la plus vieille d’Espagne. Un de ses recteurs est Miguel de Unamuno, un des grands intellectuels de ce siècle. Le choc entre la barbarie et l’intelligence était programmé, il eut lieu.

Le 12 octobre 1936, au sein de l’amphithéâtre de l’université de Salamanque, est célébré le jour de la race ( El Dia de la Raza ), aujourd’hui fête de l’Hispanité et fête nationale. Les autorités religieuses, militaires et académiques sont présentes. Miguel De Unamuno est présent comme recteur. Dans un premier temps le philosophe avait accueilli favorablement le soulèvement contre la République. Bien vite cependant, ses certitudes se sont effondrées devant le tour pris par la guerre civile.

La salle est remplie de phalangistes, de légionnaires et de partisans du nouvel ordre qui se met en place. Les diatribes contre les nationalismes basque et catalan, contre les rouges, contre tout ce qui n’est pas « chrétien et fasciste » se succèdent.

Quelqu’un dans l’assemblée ponctue une des diatribes par le cri de ralliement de la Légion étrangère « Viva la muerte » ( vive la mort ). Le général Millan Astray, mutilé de guerre, bandeau noir sur un œil, visage écharpé, un unique bras valide, mais à la main duquel il manque des doigts, lance son cri de ralliement : España Libre ! España Grande !

Des phalangistes se lèvent et adressent le salut fasciste à la salle face à l’estrade.

Unamuno est censé clôturer ce meeting. Il se lève et parle :

  • « Tous, vous attendez mes paroles. Vous me connaissez bien et vous savez que je suis incapable de garder le silence. Se taire équivaut à mentir, parce que le silence peut être interprété comme un acquiescement . . . On parle ici d’une guerre internationale pour la défense de la civilisation chrétienne ; moi-même il m’est arrivé de le faire autrefois. Mais non, nôtre guerre est seulement une guerre incivile . . . Vaincre n’est pas convaincre, et il faut convaincre avant tout ; or la haine qui ne fait aucune place à la compassion, à l’intelligence critique et distinctive, inquisitive, et non pas inquisitrice, ne peut pas convaincre »

Le général Millan Astray tente d’interrompre l’orateur. Unamuno reprend sa pensée et dit à voix haute :

  • « Je viens d’entendre le cri nécrophile et insensé de ‘’Vive la mort !’’ Ce cri résonne en moi comme : ‘’A mort la vie !’’ Moi qui ai passé ma vie entière à inventer des paradoxes qui irritaient ceux qui ne les comprenaient pas, je dois vous dire, en tant qu’expert en la matière, que ce paradoxe me paraît répugnant . Une chose encore ! Le général Millan Astray est un invalide. Inutile de le dire à voix basse. C’est un invalide de guerre. Cervantès le fut aussi. Mais les extrêmes ne constituent pas la norme. Il y a malheureusement de nos jours trop d’invalides en Espagne . . . Je souffre à l’idée que le général Millan pourrait dicter les normes d’une psychologie des masses. Un invalide dépourvu de la grandeur spirituelle de Cervantès, qui était un homme – et non un surhomme – viril et complet, malgré ses mutilations, un invalide, dis-je, dépourvu de cette supériorité de l’esprit, éprouve du soulagement à voir augmenter autour de lui le nombre des mutilés. Le général Millan Astray ne fait pas partie des esprits supérieurs, malgré son impopularité, ou peut-être, précisément à cause de cette impopularité. Le général Millan Astray voudrait créer une Espagne nouvelle – création négative sans doute – à sa propre image. C’est pourquoi il désirerait voir une Espagne mutilée ainsi qu’il l’a donné inconsciemment à entendre. »

Ne tenant plus, Millan Astray crie « À mort l’intelligence ! ». Des cris hostiles s’élèvent des gradins de l’amphithéâtre. Quand le silence revient, Unamuno reprend la parole :

  • « Nous sommes ici dans un temple de l’intelligence, et j’en suis son grand prêtre. Vous, vous profanez son enceinte sacrée . . . Vous vaincrez parce que vous avez de la force brute à revendre. Mais vous ne convaincrez pas, parce que convaincre signifie persuader. Et pour persuader, il vous faudrait une chose qui vous manque : la raison et le droit dans la lutte. Il me semble inutile de vous demander de penser à l’Espagne. J’ai fini. »

Des huées accompagnent la fin de l’intervention. Face à une assemblée à deux doigts de le lyncher, remplie de légionnaires armés, Unamuno aurait pu être abattu sur place. Mais Carmen Polo, l’épouse de Franco, lui offre son bras et l’exfiltre d’une salle totalement hostile. Les fascistes n’osent pas s’interposer entre Unamuno et la femme du généralissime ce qui lui sauve la vie et lui offre un répit de 3 mois.

Unamuno meurt seul dans une Espagne qui lui est devenue étrangère le 31 décembre 1936.

Ce texte est extrait de la lecture du livre d’Andres Trapiello « Les armes et les lettres, littérature et guerre d’Espagne ( 1936-1939) », éditions La Table ronde, 2009,

Je vous conseille de plus l’excellent film d’Alejandro Amenabar ‘’Lettre à Franco’’ ( Mientras dure la guerra  en Espagnol ) de 2019 qui raconte dans le détail cet épisode et les derniers mois de la vie d’ Unamuno.

 

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Didier Ribo

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