Au lendemain de sa victoire électorale en novembre 1933, la droite passe à l’offensive alors que le chômage atteint des sommets. En décembre 1933 l’Espagne compte 619 000 chômeurs, soit 12 % de la population globale.

Épisode 3 : avec le gouvernement de droite l’amplification de la guerre sociale

La dégradation générale des conditions de vie et de travail pousse les ouvriers et les paysans à faire pression sur leurs responsables syndicaux pour qu’ils organisent la riposte.

Revenu dans l’opposition, le socialiste Largo Caballero répond par des slogans enflammés, mais il n’a aucun projet concret d’insurrection.

Le 8 décembre 1933, la CNT appelle à un soulèvement national, mais les socialistes s’en désolidarisent ostensiblement.

En Galice, dans la Rioja, en Catalogne, dans la province d’Alicante, le gouvernement de droite vient à bout des insurgés, 125 personnes sont tuées.

Début 1934, la malnutrition fait des ravages. Après la suppression du contrôle des prix du pain, instaurée par la gauche, tous les prix augmentent de 20 à 70 %.

Effrayés par la volonté affichée de la droite de détruire ce qu’ils considèrent comme une législation humanitaire de base, des membres toujours plus nombreux des syndicats et des partis de gauche pensent que la démocratie bourgeoise ne permettra jamais d’introduire un minimum de justice sociale.

Craignant de perdre sa base électorale, Largo Caballero renforce un discours révolutionnaire de façade. Cette rhétorique véhémente n’est relayée par aucune intention révolutionnaire sérieuse.

De fait, le verbiage de Largo Caballero cherche à faire pression sur le Président Alcala Zamora, pour qu’il organise de nouvelles élections.

À l’opposé de l’échiquier politique, la CEDA de Gil Robles met en place une milice citoyenne pour aider la police et l’armée. Elle réunit des dossiers sur les ouvriers de chaque village avec tous les détails sur leur degré de « subversivité », autrement dit leur appartenance à un syndicat ou à un parti.

L’apparition de milices en uniforme, tolérées par une majorité gouvernementale d’extrême centre est justement vue par la gauche comme une menace fascisante.

Tiraillé entre « radicaux » et « modérés », le PSOE opte pour une action défensive visant à organiser un soulèvement si : « les éléments réactionnaires dépassent les limites de la constitution pour anéantir l’œuvre de la République ».

Le problème est que lorsque - les limites de la constitution sont dépassées -, il est trop tard.

Les dirigeants socialistes espagnols veulent éviter les erreurs commises par leurs camarades allemands et italiens, mais ils n’ont pas l’intention de mener une révolution.

Ils continuent de penser que la solution reste dans le cadre démocratique et électoral de l’État bourgeois.

Pourtant les signaux que le gouvernement d’extrême centre bascule à l’extrême droite s’accumulent.

Le 22 mars 1934, les arrêts de travail des garçons de café de Séville et des employés de transports à Valence sont dénoncés comme « grève contre l’Espagne ». La droite appelle à l’instauration d’une législation antigrève aussi draconienne que celle de l’Italie fasciste, de l’Allemagne nazie et du Portugal Salazariste.

Parallèlement, le gouvernement rétablit la peine de mort, abolie par la gauche en 1932.

Le 22 avril 1934, un rassemblement de style fasciste a lieu au monastère de l’Escurial près de Madrid. Sous des trombes d’eau, 20 000 personnes jurent fidélité à Gil Robles et scandent « Jefe ! Jefe ! Jefe ! », titre équivalent à celui de « Duce » en Italie.

Au cours du printemps 1934, les conseils municipaux de gauche frêles remparts contre la dérive fascisante sont démis et remplacés autoritairement par les gouverneurs des provinces.

Dans les campagnes et les villes, des milliers de personnes meurent lentement de faim.

Fin mai 1934, face à une menace de grève agricole, les récoltes agraires sont qualifiées de « service public national », les propriétaires terriens se militarisent.

Les grévistes considérés comme des mutins sont arrêtés par milliers. Les « Casas del pueblo » sont fermées.

Au milieu de l’année 1934, il n’existe plus ni syndicat rural, ni législation sociale, ni autorités municipales pour contester la domination des grands propriétaires terriens. La CEDA est ravie

Le 9 septembre 1934, la CEDA organise un rassemblement de style fasciste à Covadonga dans les Asturies, pour la reconquête de l’Espagne. Les socialistes locaux déclarent la grève générale et tentent sans succès de bloquer les routes.

Le 26 septembre 1934, Gil Robles passe à l’offensive.

Il passe d’un soutien sans participation au gouvernement à une demande d’entrée de la CEDA.

Pour l’ensemble de la gauche, c’est la ligne rouge qui va précipiter l’instauration d’un gouvernement ouvertement fasciste.

C’est aussi le signal du lancement de la grève générale insurrectionnelle.

 

(Cette série d’articles est rédigée à partir d’extraits de lecture du livre de Paul Preston – souvent cité dans ces colonnes – « Une guerre d’extermination » édité aux éditions Belin en 2017 et en collection poche en 2020. Je vous en recommande vivement la lecture intégrale.)

 

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