Plages, béton et propagande ; Franco et le tourisme de masse

par | 7 septembre 2025 | Société

À la fin des années 1950, pour sauver son régime de la faillite, Franco mise sur les plages, le soleil et les touristes.

En 1940, la dictature qui sort de la guerre civile est à dominante morale, autoritaire, religieuse, rétrograde. L’Espagne de Franco qui avait misé sur Hitler et Mussolini est mise à l’index des nations démocratiques.

Dans cette séquence de régression systématique, chaque touriste est un danger ambulant qui perfore la bulle dans laquelle est maintenue la nation ibérique. C’est un corps étranger qu’il faut tenir à l’écart où contrôler strictement. Les très rares visiteurs sont triés sur le volet avec l’obtention de visas.

Vingt ans plus tard au début des années 1960, le pays est ruiné par l’ordre économique, moral, politique franquiste.

Outre-Atlantique cette faillite annoncée angoisse. En pleine guerre froide contre l’URSS, les États-Unis ont les yeux de Chimène pour le très droitier Franco.

Pour sauver l’Espagne de la ruine, Washington va proposer à Madrid de rentabiliser ses plages, son soleil et ses tapas en les offrant aux touristes du monde entier.

Le passage du couvent au lupanar est un coup dur à avaler pour les secteurs les plus rétrogrades du franquisme. Pour ces intégristes proches de l’Opus Dei ? les touristes sont décadents, impudiques et corrupteurs.

Malgré ces réticences ouvertes, pour sauver sa dictature, Franco accepte que l’Espagne ouvre ses frontières et ses mœurs.

Le tourisme devient le pilier du Plan de stabilisation de 1959. Un ministère du tourisme est créé, il lance un slogan : « Spain is different ». Soleil, plage et fiesta sont mis en avant dans toutes les agences de voyages.

Pour ne pas « corrompre » le peuple espagnol et pour éviter la contagion démocratique, le tourisme va être cantonné dans les stations balnéaires.

Très vite les propriétaires fonciers vendent à prix d’or (au vu de la situation économique) leurs terrains aux promoteurs.

Très vite l’État franquiste coule sous le béton de l’industrie touristique des villages et hameaux entiers du bord de mer. De la même manière, des zones entièrement naturelles sont bétonnées.

Conséquence logique, le pays se remplit rapidement de touristes peu regardants sur la liberté, l’écologie et les particularismes locaux. Des villes entières, toujours présentes de nos jours, sortent de terre sans aucune planification urbaine.

Une double société va résulter de ce choc de civilisation. Deux entités vont durablement coexister. D’un côté les touristes qui vivent des moments « paradisiaques » bercés de loisirs, farniente, nudité, alcool. De l’autre un monde autochtone privé de liberté, soumis à la doctrine nationale-catholique, qui lui impose le sacrifice, l’ordre moral, la hiérarchie et le devoir religieux.

Dans son livre « L’invasion pacifique : les touristes et l’Espagne franquiste » l’historien S.D Pack relate les frictions qui ont accompagné cette mutation.

Les plages deviennent des lieux de tensions, où se juxtaposent altercations et dénonciations quand les Espagnols imitent les touristes.

Certaines femmes espagnoles sont verbalisées et jugées pour le port d’un bikini tandis que les touristes sont laissées tranquilles.

Du côté des hommes, la frustration de voir les touristes draguer ouvertement sans conséquences morales et juridiques est immense.

Le but de Franco est de séparer vacanciers et locaux. Mais dans les stations balnéaires c’est impossible, car les deux populations sont juxtaposées. Les pêcheurs deviennent des loueurs de chambres et les jeunes travaillent dans l’hôtellerie ou la restauration.

Les grandes villes comme Barcelone n’apparaissent pas dans les dépliants touristiques, car Franco tente de préserver les citadins d’une éventuelle contagion étrangère.

Pour éviter les débordements, la « Brigada Politico-Social », autrement dit la police politique, surveille les touristes et les Espagnols, dans les lieux de rencontres.

Cette police politique n’avait pas d’uniforme, elle officiait en civil par souci d’efficacité et pour ne pas donner l’image d’un pays policier.

Il était interdit d’évoquer la guerre civile, de rentrer dans certains quartiers ciblés comme des zones ouvrières contestataires.

À l’inverse, Franco favorisait les lieux patrimoniaux « neutres » comme la Sagrada Familia ou l’urbanisme de Gaudi.

Près de 70 ans plus tard, l’Espagne reste l’otage économique du tourisme de masse. En 2025 elle va dépasser la barre symbolique des 100 millions de visiteurs annuels.

Selon les experts c’est un seuil décisif à partir duquel toutes les infrastructures du pays ne peuvent plus fonctionner normalement.   

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Didier Ribo

Description de l'auteur de l'article - co-fondateur du journal majoritaire de Béziers