Une autre histoire – 10 octobre 1917, naissance de Thelonious Monk

par | 9 octobre 2022 | Culture

Le 10 octobre 1917, voilà exactement 105 ans, Thelonious Monk voit le jour  aux États Unis en Caroline du Nord.Inclassable, unique en son genre, ce colosse a traversé le jazz, indifférent au tumulte des modes.

De sa famille, de son enfance et de son adolescence, on ignore pratiquement tout. Il semble avoir mené des études assez désordonnées de piano et d’harmonie avec plusieurs professeurs privés.

Quand on commence à parler de Monk en 1941, au moment où s’élabore le be-bop, il semble jaillir du néant, déjà porteur d’une musique totalement achevée qui ne connaîtra pas de périodes de tâtonnement. Le trompettiste Dizzy Gillespie, impressionné par les débuts publics d’une aussi forte personnalité, le retient comme pianiste attitré de son club. C’est dans ces lieux que Monk enregistre pour la première fois. Il joue alors dans de nombreux clubs de jazz de Harlem avec les pionniers du bop.

En 1945, le bop sort de la clandestinité et étend rapidement son empire sur les musiciens et leur public. Mais ce n’est pas vers Monk que se braquent les projecteurs de la célébrité. À d’autres – au style plus aisé, à la musique plus accessible – la gloire d’occuper le devant de la scène. Toujours aussi réfractaire à la moindre concession, il rentre dans l’ombre et traverse une période de silence qui va durer plus de dix ans. Il ne tient pas à renouveler ses expériences orchestrales auxquelles son monde musical ne peut guère s’adapter. Il refuse de jouer le répertoire habituel des pianistes de son temps, son caractère excentrique et agressif ne faisant qu’envenimer les choses. Sa musique est trop sauvage, trop brutale, trop fondamentalement nouvelle pour séduire de prime abord.

Il faut mentionner le mois d’août 1951, une date importante dans la vie de Monk car il perd sa licence de cabaret pour jouer à New York après avoir été arrêté par la Police pour possession de marijuana , c’était la 2ème fois !

Bref, c’est la catastrophe ! Les clubs interdits pour 6 ans, c’est la disette totale. Même s’il est désœuvré la nuit, il joue beaucoup à la maison et au basket dans la rue

Il refait surface en 1954, date à laquelle il enregistre quatre de ses thèmes avec Miles Davis. Le quartette qu’il forme en particulier avec John Coltrane est engagé en 1957 (il vient de retrouver sa licence) au Five Spot Café. En 1959, il réunit douze musiciens pour jouer ses compositions au Town Hall de New York.

Pendant les années qui suivent, il se produit en solo, en trio et à la tête d’un quartette. Sa musique perd alors un peu de sa violence. Monk semble avoir trouvé une manière de sérénité volontaire et secrète: en quelque sorte, sa « période classique » même si Monk n’a jamais eu de complexe vis à vis de la musique classique, contrairement à d’autres.

Le jeu de Thelonious Monk constitue peut-être la première véritable rupture du « piano-jazz » avec le pesant héritage des formes de la musique savante européenne et de l’esthétique du romantisme. Tous les pianistes de jazz ont souffert et souffrent encore d’un indéracinable complexe face à la technique de composition classique et à ses normes de virtuosité. Tous ont tenté, avec plus ou moins de bonheur et d’indépendance, de couler l’originalité du jazz dans ce moule préétabli. Monk est le premier à refuser d’être apprécié selon ces critères. Il est le premier à dire non à la volubilité digitale, à contester fondamentalement les systèmes harmoniques du néoromantisme. La position même de sa main, doigts tendus, est une insulte aux convenances pianistiques. Certains en ont tiré prétexte pour juger sa technique défaillante, alors qu’elle obéissait simplement à d’autres règles, qu’elle visait un autre but. Il n’aura pas plus de disciples qu’il n’a eu de maîtres. Les musiciens semblent saisis d’effroi devant cette musique créée ex nihilo, monstrueux accident dans l’histoire du jazz.

Car tout est déroutant, dans le jeu et les thèmes de Monk. Ni traits élégants, ni style coulant, ni mélodies charmeuses. La dissonance, le décalage rythmique, la distorsion interne sont le credo de sa nouvelle religion. Tout se fonde sur la discontinuité, la densité du silence.

Les effets de surprise rythmiques et harmoniques qui en résultent donnent à son discours une allure chaotique, un déhanchement contestataire. Cela ne l’empêche pas de développer un swing à l’évidence brutale, bien plus construit sur des ponctuations élémentaires que sur la division du temps musical en onduleuses arabesques.

Sa main gauche a un style posé que bousculent les caprices de sa main droite. La pensée musicale d’un Monk dépasse de très loin le simple instrument qui en est l’intermédiaire: elle a des prolongements orchestraux. Il choque ou il bouleverse. Il ne plaît pas: il ose.

Les sarcasmes fusent quand il s’attaque aux standards les plus éculés. Les plus doucereuses ballades sont, sous ses doigts, dépoussiérées, virilisées. Certes, Monk respecte le cadre des douze mesures du blues, mais il en bouscule l’organisation interne de manière asymétrique.

On retrouve ces traits également dans la matière de la plupart des thèmes qu’il nous laisse. Là comme ailleurs, Monk tord le cou à l’éloquence et aux effets de rhétorique pour aller directement à l’essentiel.

Soliste fascinant, il est aussi un accompagnateur exigeant qui ne cherche ni à briller à titre individuel ni à faire naître l’impression illusoire d’un accompagnement orchestral. Son but, alors même qu’il tente de se désolidariser du soliste, est de lui conférer une noblesse nouvelle en entourant le discours mélodique d’une aura polyphonique.

Ce colosse a traversé le jazz, indifférent au tumulte des modes, muré dans un mutisme quasi total. Seuls signes de vie active: d’extravagants couvre-chefs et une musique inouïe que le silence envahit peu à peu.

Inclassable, maître du clavier mais si peu « pianiste », novateur de première grandeur mais sans ancêtres ni descendance, longtemps méconnu par les amateurs, perplexes devant une musique qui ne présente pas la moindre trace de complaisance ni de facilité, Monk est unique en son genre.

A partir de 1972, il ne joue plus et semble même se désintéresser de la musique. Réfugié à New York chez la baronne Pannonica de Koenigswarter, qui avait également recueilli en son temps Charlie Parker, il est frappé de plusieurs congestions cérébrales. Il s’éteint le 17 février 1982, comme rongé par le mystérieux silence d’où était issue sa musique.

Ce même mois de février 1982 naissait Amandine le premier bébé français « in vitro »…

…mais c’est une autre histoire !

 Version audio avec illustration musicale sur Radio Pays d’Hérault à écouter ICI

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