Une autre histoire – 26 juin 1988 : du drame d’Ouvéa aux accords Matignon

par | 23 juin 2023 | Culture

Le 26 juin 1988, voilà exactement 35 ans, un accord est signé à Matignon avec le FLNKS (Front de Libération Nationale Kanak et Socialiste)   pour mettre fin au conflit sanglant qui a eu lieu 50 jours auparavant à Ouvéa en Nouvelle Calédonie.

Tout commence en 1984 avec la formation d’un mouvement indépendantiste kanak en Nouvelle-Calédonie, le FLNKS. Ses meneurs, Jean-Marie TjibaouEloi Machoro et Yéwéné Yéwéné, aspirent à une revanche sur les Européens, les « Caldoches », qui leur ont pris leur terre et constituent désormais la majorité de la population de l’archipel.

Des incidents meurtriers éclatent qui opposent des indépendantistes et des Européens. Le 12 janvier 1985, Eloi Machoro est abattu par un tireur d’élite du GIGN (Groupe d’intervention de la Gendarmerie Mobile) lors de l’occupation d’une propriété européenne.

En 1986, la France se donne un gouvernement de droite en la personne de Jacques Chirac. Prenant le contrepied des gouvernements antérieurs, il apporte son appui aux Caldoches et à leur leader, Jacques Lafleur, leader des loyalistes et président du principal parti, le RPCR (Rassemblement pour la Calédonie dans la République).

Bernard Pons, ministre des départements et territoires d’outre-mer, concocte un nouveau statut que dénonce aussitôt le FLNKS.

Le 13 septembre 1987, à la question : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à l’indépendance ? », les Calédoniens répondent non à 98,3% (59% de participation), malgré les appels au boycott du FLNKS.

Des élections régionales sont alors programmées le 24 avril 1988, en même temps que le premier tour de l’élection présidentielle.

Le 22 avril 1988, soit  deux jours avant les élections, une poignée de militants kanaks investissent la gendarmerie de Fayaoué, sur l’île d’Ouvéa. Dans la panique, quatre gendarmes sont tués par balles, un gravement blessé et trois indépendantistes sont blessés. Les Kanaks emmènent en otage les autres gendarmes, 27 au total et se séparent en deux groupes.

À Paris, sitôt l’alerte donnée, le gouvernement envoie pas moins de 700 militaires lourdement équipés sur la petite île d’Ouvéa. Le premier groupe se rend sans un coup de feu. Le second, isolé dans une grotte près du village de Gossanah, hésite sur la conduite à prendre.

Une négociation s’engage avec les rebelles pour tenter d’obtenir des chefs du FLNKS qu’ils fassent pression sur les preneurs d’otages et leur chef Alphonse Dianou.

Pendant ce temps, à Gossanah, le général Jacques Vidal prépare un assaut de la grotte sous la supervision du ministre Bernard Pons en personne. Ils ordonnent alors la fin des négociations et planifient l’assaut. L’« opération Victor », initialement prévue le 4 mai, est repoussée au lendemain… pour laisser au Premier ministre le temps d’accueillir à Paris les 3 otages français fraîchement sortis des geôles du Liban, Jean-Paul Kauffman, Marcel Carton et Marcel Fontaine.

Le matin du 5 mai, deux assauts successifs, avec 75 hommes d’élite du GIGN et du 11e Choc, ont raison des preneurs d’otages. 19 d’entre eux sont tués, soit la moitié du groupe environ. Les otages sortent quant à eux tous vivants de la grotte. L’armée déplore la mort de deux de ses hommes. Trois jours plus tard, le deuxième tour de l’élection présidentielle donne une large victoire à François Mitterrand. Pour Jacques Chirac, la fermeté n’aura pas payé.

Sitôt en fonction, le gouvernement socialiste de Michel Rocard, nouveau 1er Ministre, entame des négociations avec le FLNKS. Chacun des protagonistes ayant le souci de calmer le jeu, elles aboutissent le 26 juin 1988 à l’accord de Matignon et se concluent par une poignée de main entre les protagonistes, Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur.

Les accords de Matignon sont entérinés par un référendum de pure forme le 6 novembre 1988.

L’opinion publique a été fortement troublée par le drame d’Ouvéa mais l’éloignement, le manque de curiosité des médias et les remous de l’élection présidentielle ne lui ont pas permis d’obtenir de réponse à ses questions. Le drame est pourtant instructif en ce qu’il révèle un très large fractionnement des responsabilités :

• Le Premier ministre et son ministre de l’outre-mer ont eu la responsabilité la plus lourde, d’abord en attisant les conflits entre Kanaks et Caldoches au lieu de les apaiser. Ensuite en engageant l’armée et des moyens démesurés pour libérer les otages, enfin en privilégiant très vite la manière forte, dans le but d’impressionner leur électorat,
• Le président de la République a eu aussi sa part de responsabilité en n’acceptant pas de médiation en temps utile et en signant l’ordre de donner l’assaut pour ne pas apparaître en retrait par rapport à son Premier ministre.
• Les dirigeants du FLNKS ont refusé d’intervenir auprès des preneurs d’otages pour éviter d’apparaître comme les complices d’une faction terroriste (cela vaudra à Jean-Marie Tjibaou et Yéwéné Yéwéné d’être plus tard assassinés par un dissident de leur parti).
• Des militaires ont failli à leur devoir par leurs mortelles brutalités.

Depuis, plusieurs consultations ont eu lieu sur ce territoire pour en déterminer l’avenir, un avenir qui pose toujours problème. Le 3ème et dernier référendum sur l’autodétermination a eu lieu le 12 décembre 2021. Le « non » l’a emporté pour la troisième fois, mais dans un contexte très particulier puisque le vote a eu lieu en pleine épidémie de Covid. Un vote qui reste contesté vu le taux d’abstention et considéré comme illégitime par les indépendantistes.

Quel avenir pour la Nouvelle-Calédonie ? La Première ministre Élisabeth Borne a reçu le  11 avril dernier une délégation indépendantiste, puis les non-indépendantistes pour relancer le dialogue sur l’avenir institutionnel de l’archipel.

La Nouvelle-Calédonie a un statut temporaire puisque ce territoire français du Pacifique est engagé dans un processus d’auto-détermination. C’est l’accord de Nouméa, signé en 1998, qui lui accorde ce statut particulier. Cet accord est lui-même hérité de l’accord de Matignon signé le 26 juin 1988.

Nous en sommes là aujourd’hui mais ce qui est en jeu, reste le futur statut de l’archipel.

Le drame d’Ouvéa a fourni au cinéaste Mathieu Kassovitz, en 2011, la matière d’un film engagé, « L’Ordre et la morale »

Ce même 26 juin mais en 1945, 51 pays fondent l’ONU, l’Organisation des Nations Unies

… mais c’est une autre histoire.

Version audio avec illustration musicale sur Radio Pays d’Hérault, à écouter ICI

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