Une autre histoire – 7 novembre 1913, naissance d’Albert Camus

par | 5 novembre 2022 | Culture

Le 7 novembre 1913, voilà exactement 109 ans, Albert Camus voit le jour  à Mondovi, un village du Constantinois à plus de 400 km d’Alger. Son père descend d’une famille d’Alsaciens installés en Algérie après la défaite de 1870. Dans son écrit posthume, Le Premier Homme, Albert Camus dresse avec tendresse le portrait de cet homme sans instruction mais assez fort de caractère pour savoir qu’on ne transigeait pas avec les principes d’humanité. Cette leçon guidera toute la démarche de son fils.

La mère de l’écrivain descend quant à elle d’immigrants espagnols. Père et mère représentent ainsi les deux visages du peuplement européen de l’Algérie coloniale. Quasi-sourde et souffrant de difficultés d’élocutions, femme de ménage et ouvrière, illettrée, la mère de Camus voue à ses deux garçons un amour sans réserve.

La famille, sous la direction de la grand-mère paternelle, s’installe à Alger, dans le quartier populaire de Belcourt. Le jeune Albert, tout naturellement, se destine, comme son frère aîné, à quitter l’école pour travailler et ramener un salaire à la maison.

Mais un miracle survient en la personne de son instituteur en classe de certificat d’études, Louis Germain, qui remarque les dispositions exceptionnelles de l’enfant et convainc sa mère et sa grand-mère de l’inscrire à un concours en vue d’obtenir une bourse et de poursuivre sa scolarité. Ainsi Albert Camus pourra-t-il entrer au lycée Bugeaud.

Le lycéen entre en khâgne puis en faculté de philosophie mais la tuberculose, qu’il a contractée en 1930, l’empêche de passer l’agrégation de philosophie en 1937. Albert doit renoncer à devenir professeur. Qu’à cela ne tienne, sa rencontre à l’université avec le philosophe Jean Grenier l’a révélé à lui-même et décidé à entamer une carrière littéraire.

À 21 ans, il entre au Parti communiste mais son engagement s’arrêtera rapidement. Il tâte du journalisme à L’Alger républicain et commence à écrire.

Quand arrive la guerre, en 1939, Albert Camus, réformé à cause de sa maladie, retourne chez sa mère où il termine une pièce de théâtre, Caligula. Il n’a que 27 ans, pas de relations, pas de diplôme mais déjà une vision très précise de son avenir, avec en projet un roman, L’étranger.

Celui-ci sera publié après son retour dans le Paris de l’Occupation, le 19 mai 1942, chez Gallimard, en même temps qu’un essai philosophique sur l’absurdité de la condition humaine : Le mythe de Sisyphe.

 

« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier ». Ces quelques mots par lesquels débute L’Étranger sont parmi les plus célèbres de notre littérature. Ils sont le reflet du caractère si mystérieux de Meursault, le héros du livre. Quel personnage antipathique! Étranger en Algérie, étranger à la société, étranger aux sentiments, il traverse la vie avec une indifférence assumée. Et lorsqu’il en vient au meurtre, presque par hasard, il ne fait qu’observer sans passion aucune le procès qui va mener à sa condamnation à mort…

Nous voici en plein dans l’Absurde, ce concept défini par Camus dans Le Mythe de Sisyphe: nous sommes comme ce personnage mythologique qui passe ses journées à pousser au sommet d’une colline un rocher qui, inexorablement, retombe, l’obligeant à recommencer sans fin la même tâche sans intérêt.

Établi en 1940 en métropole, Albert Camus s’emploie comme secrétaire de rédaction à Paris-Soir et se marie avec une amie oranaise, Francine Faure, dont il aura deux enfants. Il noue aussi d’utiles relations dans les milieux littéraires avec Louis Aragon, mais aussi Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre. Entré en résistance en 1943, il participe à la direction du journal Combat et se fait connaître du grand public.

La Peste, un roman allégorique sur l’oppression, consacre sa réputation d’écrivain en 1947. Ce roman peut être vu comme la simple chronique d’une épidémie à Oran, racontée par un narrateur resté longtemps mystérieux. Mais l’auteur a voulu aller plus loin. Ici la maladie n’est pas source de romanesque, mais de réflexion. La peste, c’est le malheur auquel les hommes ne peuvent échapper, c’est toute l’horreur de la condition humaine. Confronté à la souffrance extrême, placé subitement face à son propre destin, l’Homme est obligé de dévoiler sa face cachée: lâcheté, découragement mais aussi force de caractère. C’est le cas du docteur Rieux qui, plutôt que de se révolter, s’emploie simplement à agir en refusant de juger le comportement des autres. Près de 80 ans après sa publication, La Peste est plus que jamais d’actualité.

Dès la Libération, Camus prend ses distances avec les « compagnons de route » du communisme stalinien, intellectuels d’origine généralement bourgeoise.

À propos des procès bâclés des collaborateurs, celui de Maurras, expédié en une demi-journée, puis celui de Laval, Camus ose écrire le 15 mars 1945: « À la haine des bourreaux a répondu la haine des victimes ». Autre motif de contrariété : les émeutes sanglantes de Sétif  de mai 1945. Le jeune écrivain algérois commence alors à s’inquiéter de l’avenir de sa terre natale et à plaider pour une résolution pacifique du conflit.

La rupture définitive d’avec les cénacles intellectuels intervient avec la publication en 1951 de L’Homme révolté. Elle est provoquée par Jean-Paul Sartre qui reproche à son ancien ami de refuser la logique des blocs et de revendiquer le droit au débat! Le fossé se creuse lorsque Camus se voit remettre le Prix Nobel de littérature le 10 décembre 1957, pour l’ensemble de son œuvre.

On est alors en pleine guerre d’Algérie. À Stockholm, pressé de questions par les journalistes, l’écrivain déclare: « En ce moment, on lance des bombes dans les tramways d’Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c’est cela la justice, je préfère ma mère. »

Ce cri du cœur sera réduit par ses adversaires du quartier de Saint-Germain-des-Prés en une formule brutale: « S’il faut choisir entre la justice et ma mère, je choisis ma mère. »

L’accident qui emporte Albert Camus et aussi son éditeur Michel Gallimard, sur une route de l’Yonne, le 4 janvier 1960, laisse orphelins tous les esprits libres qui attendaient de Camus qu’il participe aux grands débats intellectuels et politiques de l’époque.

On récupérera dans la voiture de sport une sacoche contenant les premières épreuves d’un roman autobiographique ambitieux, Le Premier Homme.

L’œuvre de Camus, du vivant même de son auteur, et depuis sa mort, connaît un destin paradoxal. Célèbre et célébrée, elle est aussi déformée et dénigrée par des critiques abusés par son apparente simplicité, ou aveuglés par leurs préjugés philosophiques ou politiques. Mais son humanisme lucide et rigoureux, son effort pour ne rien nier ni de l’homme, ni du monde, la mythologie du possible qu’elle propose, tant sur le plan philosophique que politique, sa richesse morale, intellectuelle et esthétique ne cessent de confirmer que « la création authentique est un don à l’avenir ».

Ce même 7 novembre mais en 1867 naissait Marie Curie qui recevra le prix Nobel de Physique pour ses travaux sur le radium

mais c’est une autre histoire !

 

Version audio avec illustration musicale sur Radio Pays d’Hérault à écouter ICI

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