«Démophobie néolibérale». À Vina Del Mar, à quelques encablures de Valparaiso, s’est tenu un congrès régional de la Société du Mont-Pèlerin du 15 au 19 novembre 1981. Les représentants des principaux courants du néolibéralisme mondial y étaient présents pour dénoncer en chœur le « danger démocratique » et se féliciter du nouvel ordre chilien instauré par Pinochet.

Leur idée commune est que la démocratie est une menace potentielle pour la liberté et la civilisation. Lors de la rencontre de Vina Del Mar, tous se disent convaincus que les réformes les plus fondamentales ne peuvent être mises en œuvre que dans le cadre de régimes autoritaires.

En 1981, pour tous les membres de la Société du Mont-Pèlerin, le Chili fait figure de modèle et, surtout, de paradigme historique.

Pour eux le Chili a été victime pendant des décennies d’un parlementarisme qui l’a conduit au bord du collectivisme et le pays a été sauvé par un coup de force heureux qui a permis d’établir les conditions politiques et constitutionnelles de la liberté.

L’accueil réservé par les sociétaires du Mont-Pèlerin exprime la défiance, si ce n’est la haine envers une démocratie quand cette dernière traduit une exigence d’égalité et de justice sociale.

La légende politique voudrait que le néolibéralisme soit la doctrine qui, contre tous les interventionnismes étatiques liberticides, fasse pleinement droit à la démocratie et au libre marché.

Cette lecture héroïque d’un néolibéralisme auquel on attribue un rôle clé dans le triomphe sur le totalitarisme est une reconstruction fallacieuse de l’histoire.

Elle oublie que le néolibéralisme doctrinal est depuis ses débuts foncièrement antidémocratique, qu’il constitue même une réfutation radicale de l’idéal de la souveraineté du peuple.

Cette critique de la démocratie n’est pas un sujet secondaire dans les différentes versions du néolibéralisme théorique ; c’est une question centrale dans la mesure où la démocratie y est envisagée comme la matrice du pire danger pour les sociétés : ce que les néolibéraux nomment le « collectivisme ».

La doctrine néolibérale se présente comme une théorie des limites institutionnelles à apporter à la logique de la souveraineté populaire, dans la mesure où cette logique, lorsqu’elle n’est pas maîtrisée, est grosse du danger de l’« État total », c’est-à-dire de cet État qui étend son intervention dans tous les domaines de l’existence.

Mais précisément parce que ce danger se trouve conçu comme étant inhérent à la modernité démocratique, le néolibéralisme se présente comme une idéologie de guerre contre la démocratie effective, lorsque les résultats électoraux ou les mobilisations populaires mettent en danger les règles du marché.

Moins loin dans le temps, nous avons eu un « avant-goût » de cette idéologie de guerre récemment en France, lors des mobilisations contre la réforme des retraites et des gilets jaunes. Preuve si besoin était que le néolibéralisme est toujours aux postes de commande de l’économie et de la politique mondiales

 

Cet article est rédigé à partir d’extraits de lecture d’un livre collectif intitulé « Le choix de la guerre civile », ( Une autre histoire du néolibéralisme ), paru aux éditions LUX en 2021.

Pour celles et ceux qui veulent en savoir plus sur le coup d’État militaire au Chili, je vous conseille les livres de :

  • Franck Gaudichaud « Chili 1970 / 1973. Mille jours qui ébranlèrent le monde », aux Presses universitaires de Rennes, 2020
  • Olivier Besancenot et Michaël Lowy « Septembre rouge ». Le coup d’État du 11 septembre 1973 au Chili, aux éditions Textuel, 2023

Cet article est l’avant dernier de cette série de 6 articles.

 

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