« Les stades peuvent être utilisés à d’autres fins que sportives ». Il y a plusieurs choses à apprendre de l’expérience de l’Unité populaire au Chili : particulièrement une, la lutte des classes peut se transformer en guerre des classes.

En juillet 1973, un mois après une première tentative de coup d’État, un mois avant le putsch de la junte militaire, Luis Corvalan le secrétaire général du Parti communiste chilien prononce un discours où il dit : « Nous disons non à la guerre civile, mais nous sommes prêts à écraser la sédition ».

La sédition ne fut pas écrasée et la guerre civile eut lieu : pourquoi ?

L’affirmation de Corvalan introduit un débat capital à gauche pour tout gouvernement qui souhaite réaliser une transition pacifique ou parlementaire vers le socialisme.

L’expérience chilienne de l’Unité populaire offre un exemple très suggestif de ce qui peut se produire lorsqu’un gouvernement veut, dans une démocratie bourgeoise, réaliser les objectifs qu’il s’est assignés. Quand il a réellement l’intention d’apporter des changements dans l’ordre social et de s’orienter vers le socialisme de manière constitutionnelle et graduelle.

Les dirigeants de l’Unité populaire n’étaient pas des politiciens bourgeois, ils oscillaient entre « Réforme et Révolution », leurs ennemis le savaient et le redoutaient.

Nous l’oublions souvent, mais la lutte des classes est aussi menée par la bourgeoisie.

Au Chili à partir de 1970 la lutte des classes pouvait affecter l’ordre capitaliste établi.

Lorsque l’Unité populaire gagne avec seulement 36 % des votes, les forces réactionnaires espèrent qu’elle va rentrer dans le rang.

Ces mêmes forces réactionnaires se mobilisent à partir de mars 1973 après que l’Unité Populaire ait progressé en réalisant 43 % des votes aux élections législatives.

Elles optent alors pour un coup d’État parce qu’elles comprennent que la voie électorale est épuisée et qu’il ne reste plus que la force.

C’est une première leçon, les pourcentages et les scores électoraux peuvent intimider l’adversaire réactionnaire, mais ne le désarment pas.

Le problème dès lors est de le priver du recours à la force, c’est là où le discours de Corvalan et la stratégie de l’Unité Populaire a déraillé. C’est la deuxième leçon de l’expérience chilienne.

Pour éviter une guerre civile, l’Unité populaire a opté pour un gradualisme qui devait progressivement agréger des couches plus larges de l’électorat. Ce gradualisme devait convaincre « les classes moyennes », les petits capitalistes.

Ne pas vouloir tuer les « Koulaks » chiliens est une bonne chose, croire qu’ils peuvent être naturellement « aspirés » par la révolution en est une autre.

La grève des 40 000 propriétaires de camions qui a paralysé le pays l’a cruellement rappelé à l’Unité populaire.

Les signaux envoyés à l’Unité populaire par la droite, l’extrême droite, l’impérialisme, les militaires, après les élections de mars 1973 ont été assez nombreux : putsch avorté du 29 juin 1973, appel de la Démocratie chrétienne à une intervention de l’armée au parlement le 22 août 1973, assassinats, sabotages du groupe fasciste « Patrie et Liberté » pendant plusieurs mois, Sabotage administratif et économique du pays, démission du Général loyaliste Prats, grève des camionneurs . . .

À partir du printemps 1973, la lutte des classes devient progressivement et irrémédiablement une guerre des classes.

Cette guerre des classes n’a pas été initiée par l’Unité populaire. Politiquement elle l’a même refusée, mais elle lui a été imposée. C’est la troisième leçon de l’expérience chilienne. 

La guerre des classes implique de se défendre y compris militairement. C’est la quatrième leçon de l’expérience chilienne.

Il y avait pourtant des exemples précédents dans la guerre des classes : celui des coups d’État militaires ( Commune de Paris, Espagne, Brésil, Uruguay, Bolivie, etc. ).

À propos de la Commune de Paris, Marx disait « La civilisation et la justice de l’ordre bourgeois se montrent sous leur jour sinistre chaque fois que les esclaves de cet ordre se lèvent contre leurs maîtres. Alors, cette civilisation et cette justice se démarquent comme la sauvagerie sans masque et la vengeance sans loi ». Au Chili en septembre 1973, c’est toujours d’actualité.

Le même Marx disait, toujours au sujet de la Commune de Paris : « La victoire électorale ne donne que le droit, pas le pouvoir de gouverner ». C’était aussi d’actualité au Chili dans les années 1970 / 1973.

Au printemps 1973, l’Unité Populaire aurait dû opter pour la défense y compris militaire de ses acquis et projets. C’est la cinquième leçon de l’expérience chilienne.

Quelques semaines avant le coup d’État, l’un des plus proches collaborateurs d’Allende, Carlos Altamiro, secrétaire général du Parti socialiste chilien, dit avec colère à Allende : « la meilleure façon de précipiter un affrontement et de le rendre encore plus sanglant, c’est de lui tourner le dos ».

À la fin du mois de juin 1973, lors du coup d’État avorté, la volonté populaire de se mobiliser contre les candidats putschistes était au plus haut. Ce fut probablement le dernier moment où un changement de cap était possible.

« Mobiliser les masses » ou « armer les travailleurs » n’est pas qu’un slogan. Le slogan doit impérativement prendre un contenu institutionnel, effectif, pratique. C’est la sixième et dernière leçon de l’expérience chilienne.

Cette série est rédigée à partir d’extraits de lecture d’un livre collectif intitulé « Le choix de la guerre civile » (Une autre histoire du néolibéralisme), paru aux éditions LUX en 2021.

Ce dernier article, sous forme de bilan de la révolution Chilienne, est rédigé à partir d’articles de l’excellente revue en ligne « Contretemps ». Je vous conseille sa lecture et la lecture des nombreux articles liés à la révolution Chilienne. 

 

 

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