En juin 2021, la revue S!lence a publié son 500ème numéro. Créée en 1982, c’est la plus ancienne revue écologiste française encore en activité. La revue explore les alternatives concrètes et cherche à aborder tout sujet non seulement sous l’angle écologique et décroissant, mais aussi au regard du féminisme et de la non-violence. S!lence cherche à porter la parole de celles et ceux qui en France et partout ailleurs dans le monde mettent en place des alternatives: de l’agroécologie à l’habitat partagé, des éducations alternatives aux transports doux, des mobilisations féministes aux ZAD, en passant par les lieux de solidarité avec les personnes migrantes. C'est à Béziers, à La Cosmopolithèque, que S!lence a souhaité fêter son 500ème numéro.
Entretien avec Pierre Lucarelli, bénévole au sein de cette revue libre et participative.
Propos recueillis le 26 juin 2021 par Robert Martin
Robert Martin : Pierre Lucarelli, bonjour, pouvez-vous vous présenter et nous parler de cette revue S!lence ?
Pierre Lucarelli : Bonjour. Je suis membre de l'association qui édite cette revue et membre du Conseil d'administration et bénévole. Cette revue est publiée à Lyon. C'est une revue nationale, écologiste, d'écologie politique qui fête son 500ème numéro et bientôt ses quarante ans.
RM : Pourquoi ce nom ? L'écologie politique ne faut-il pas la clamer au contraire, la crier pour qu'elle fasse, se fasse entendre ?
PL : Cela nous ramène un peu loin en arrière. S!lence est née en 1982 dans le sillage d'une revue qui s'appelait La Gueule Ouverte (1). Comme La Gueule Ouverte venait de la fermer et comme certains dans l'entourage de la revue trouvait qu'elle gueulait un peu trop, on choisit S!lence pour aller vers une position plus non-violente, plus bienveillante, d'écologie positive. À l'époque, une BD a été publiée qui a fait beaucoup de bruits et beaucoup de ventes qui s'appelait Silence (2).
RM : On dit que vous êtes la plus ancienne revue d'écologie politique.
PL : Je pense que c'est vrai. Les revues qui existaient ont disparu et celles d'aujourd'hui sont moins d'écologie politique. Beaucoup de revues parlent plutôt d'écologie environnementale.
RM : Alors, une association, une revue, on dit aussi que S!lence est un réseau, une communauté.
PL : Un réseau de lecteurs d'abord mais aussi d'acteurs puisque S!lence a cette particularité d'être une revue participative. On trouve dans l'entourage de la revue, trente à quarante personnes qui écrivent des articles ou qui lisent les articles et les corrigent. Nous avons quatre salariés mais aussi un groupe assez important, au niveau national, de personnes qui suivent et participent à l'écriture de la revue.
RM : On parle aussi de l'esprit de S!lence ! C'est quoi l'esprit S!lence ?
PL : C'est assez difficile à décrire, c'est particulier. C'est de l'écologie, de la non-violence, de la bienveillance, de la sobriété, de la décroissance dans une vision heureuse.
RM : Vous parlez même d'anti capitalisme !
PL : Carrément !
RM : Depuis quarante ans, l'écologie a eu des soubresauts intellectuels mais je me demande à quoi vous servez puisque tout le monde apparemment est devenu écologiste ! Vous avez gagné ?
PL : Non, on n'a pas gagné puisque on se situe dans une vision particulière de l'écologie qui est une écologie politique de tendance autogestionnaire ou libertaire. De ce côté-là, on n'a pas gagné. C'est plutôt Europe Ecologie Les Verts qui sont reconnus comme étant la composante politique de l'écologie alors que ce n'est pas ce qu'on souhaiterait.
RM : Vous prônez une écologie de terrain et d'actions ?
PL : De terrain mais surtout de la base aussi. Nous privilégions les actions de terrain qui existent et qu'on décrit dans la revue, des alternatives concrètes que font les groupes de personnes comme ici à La Cosmopolithèque de Béziers qui est un exemple parfait de qu'on décrit dans la revue.
RM : Quels sont vos rapports avec les partis politiques écologistes ?
PL : Aucun ! Même si historiquement des personnes de la revue ont été à la création d'EELV. Les chemins ont été différents, se sont séparés. Des composantes du mouvement écologiste ont beaucoup évolué et nous finalement on est resté très stable. On avait une vision très claire de l'écologie depuis le départ. Il faut savoir très concrètement que la revue fonctionne avec des salariés qui depuis le début ne travaillent que 27h30 par semaine. Maintenant encore cela a du sens car la baisse du temps de travail est toujours et encore d'actualité.
RM : S!lence a été traversé par des divergences internes sur un certain nombre de sujets même d'écologie. C'est aussi un lieu de débats ?
PL : Absolument ! On ne cherche pas à afficher une idéologie que tout le monde devrait suivre, on cherche plutôt à ouvrir des débats qui sont présents dans le mouvement écologiste et leur donner un lieu d'expression. C'est ce qu'on a fait par exemple récemment avec un numéro sur "Une écologie arc-en-ciel" avec des débats sur la Procréation Médicalement Assistée.
RM : Dans le Numéro 500 que j'ai sous les yeux, un titre "Écouter, Regarder, Raconter". Vous n'avez pas oublié "Agir" ?
PL : On peut se poser cette question parce que c'est vrai qu'on promeut les actions sur le terrain, on raconte les alternatives concrètes que font les groupes dans les différents territoires mais on parle assez peu de ce que l'on fait. Notre action, c'est d'éditer la revue.
RM : Le journal La Décroissance est aussi rédigé, édité, mis sous plis à Lyon. Lyon est-elle devenue la capitale de l'écologie politique et de la décroissance ?
PL : Cela ne date pas d'hier ! J'ai vécu dans ce quartier très particulier qu'est La Croix Rousse qui était vraiment un vivier particulièrement libertaire où beaucoup d'initiatives ont émergé. S!lence bien sûr mais aussi le réseau "Sortir du Nucléaire", le journal La Décroissance que avez mentionné mais également "L'Observatoire International des Prisons" qui est né à La Croix Rousse ainsi que "L'Observatoire des Armements" qui a occupé une place d'expert sur la question de la paix, des conflits au niveau international. Toutes ces organisations sont nées dans ce milieu militant.
RM : Vous êtes ici à Béziers, une capitale politique aussi mais de l'extrême droite ! Quel est votre sentiment sur cette forme de banalisation d'idées qu'on pensait révolues ? Comment se situe S!lence dans ce grand débat Sécurité / Immigration ?
PL : On peut dire qu'on a une position très claire du refus de toutes les discriminations et de toutes les dominations. Les discours d'exclusion sont tout à fait à rejeter et n'ont rien à faire chez nous. On est aussi dans une position non-violente de dialogue. On ne va pas aller à l'affrontement direct avec des personnes, par contre on va chercher à dialoguer avec elles, à critiquer leurs idées de façon très déterminée, pour démonter les discours et on le fait dans la revue.
RM : Alors dans ce numéro 500, on trouve un dossier à l'intérieur sur l'AlterTour. vous pouvez m'en parler ?
PL : L'Altertour c'est un parcours à vélo. Ce sont des personnes qui souhaitaient faire du vélo et en même temps visiter des lieux d'expérimentation sociale ou alternatifs. Ils ont créé ce tour à vélo dans les années 2010 et proposent à d'autres personnes de suivre ce tour à vélo et d'y participer. Nous avons un partenariat avec eux et nous publions le dossier avec le parcours, les différents lieux qu'ils visitent et eux font la promotion de la revue sur leur parcours.
RM : Une revue mensuelle que l'on ne trouve pas en kiosque. Où peut-on se la procurer ?
PL : On a fait le choix de ne pas être en kiosque pour éviter le gaspillage car les invendus sont passés au pilon. On a souhaité avoir une distribution sur abonnement d'abord et ce qu'on souhaite privilégier. Ensuite on est présent dans des dépôts comme les librairies, des bio-coops, des magasins partenaires ou des lieux collectifs. On aussi un site internet mais nous avons quitté Facebook.
RM : S!lence, combien de divisions ?
PL : On est dans la continuité. Depuis le début autour de 3 à 4000 exemplaires mais évidemment ce n'est pas suffisant !
RM : C'est un appel à nos lecteurs ! Abonnez-vous à la revue S!lence qui de l'aveu de tous est une revue sérieuse d'écologie politique qui fait réfléchir et qui fait référence. Pierre Lucarelli, merci pour avoir choisi Béziers et la Cosmopolithèque pour fêter ce 500ème numéro de S!lence.
PL : Merci à vous !
Vous pouvez écouter cet entretien sur Radio Pays d'Hérault
(1) La Gueule Ouverte, « le journal qui annonce la fin du monde », était un journal écologiste et politique fondé, en novembre 1972, par Pierre Fournier, pacifiste convaincu et journaliste à Charlie Hebdo. Le dernier numéro (n° 314) paraît le 28 mai 1980.
(2) Silence, Didier Comès, Casterman, 1980