(A relire) En janvier 1943, la police française et l’armée allemande évacuent de force près de 20 000 habitants du quartier Saint-Jean, près du Vieux-Port à Marseille. 12 000 personnes, immigrées essentiellement d’origine italienne, sont envoyées dans un camp à Fréjus. Après plusieurs jours d’internement, la plupart sont libérées, d’autres sont déportées en Allemagne. Le quartier est, lui, totalement rasé à la dynamite.

Le dimanche 24 janvier 1943, vers 6 heures du matin, la police française accompagnée de 5000 soldats allemands, ordonne l’évacuation d’environ 20 000 habitants du quartier Saint-Jean, berceau historique de la cité phocéenne, situé au nord du Vieux-Port. Parmi eux, 12 000 hommes, femmes et enfants, issus pour la plupart de l’immigration italienne et plus particulièrement napolitaine, sont acheminés de force vers le camp de rétention de Fréjus, dans le Var. Environ 800 personnes sont déportées en Allemagne, notamment au camp d’Oranienburg-Sachsenhausen, situé près de Berlin. La plupart y périront.

La veille du 24 janvier 1943, la police française a déjà arrêté et déporté près de 800 personnes, essentiellement Juives dans le quartier de l’Opéra. Elle ordonne de quitter immédiatement les lieux et d’emporter le strict minimum.

Les personnes raflées sont escortées jusqu’au Vieux-Port, embarquées dans des tramways par des soldats allemands, direction la gare d’Arenc. Après plusieurs heures d’attente, des familles entières sont amassées dans des wagons à bestiaux, acheminées vers le camp de transit de Fréjus. 12 000 personnes sont entassées plusieurs jours dans des baraquements infestés de poux et de punaises, rien n’a été préparé pour les recevoir.

Au bout d’une semaine, la grande majorité des habitants sont renvoyés à Marseille. Autorisés à récupérer dans leur logement quelques affaires, la plupart constatent, impuissants, que des pilleurs sont déjà venus se servir.

Quelques heures tard, le 1er février, l’armée allemande entame la destruction des 1500 immeubles que compte ‘’la petite Naples’’, surnom donné au quartier Saint-Jean. La première détonation résonne à 12 heures 15 dans un îlot d’habitations situé entre la rue Saint-Laurent et la rue Radeau. Il faudra près de 3 semaines aux soldats du génie de la Wermacht pour raser un pan entier de l’histoire de la ville, où vers l’an 600 avant notre ère s’installèrent les premiers immigrés grecs. Les forces allemandes et la police de Vichy ont baptisés cette destruction : « L’opération Sultan ».

En s’attaquant au quartier Saint-Jean, les Allemands ont un objectif, ‘’nettoyer’’ le Vieux-Port de Marseille perçu comme : « le plus grand centre de criminalité du continent, dirigé par des milliers de personnes de race étrangère », écrit le chef de la police de l’ordre, Kurt Daluege. Dans un rapport rédigé le 1er février 1943, Karl Oberg, chef des SS en France, voit en Marseille, occupée depuis novembre 1942 : « le chancre de l’Europe et l’Europe ne peut pas vivre tant que Marseille ne sera pas épurée ».

Au cours de plusieurs réunions, les autorités françaises et allemandes se concertent sur le plan à suivre. Les 13 et 14 janvier 1943, une rencontre a lieu entre Karl Oberg et René Bousquet, secrétaire général de la police du régime de Vichy ( qui fondera plus tard le Front National ), dans la somptueuse villa Gaby, où l’on organise aujourd’hui des concerts de jazz et des dîners éphémères sans savoir ce qu’il s’y joua. Pourtant, entre ses murs, les deux hommes planifient la rafle, le transfert, la déportation, le dynamitage.

Le 18 janvier 1943, Heinrich Himmler, pilier du régime nazi, demande à Karl Oberg, de lui faire parvenir : « le plus rapidement possible son plan pour le nettoyage de Marseille ». Il lui demande de tenir compte de quelques préconisations. A savoir : « l’arrestation des grandes masses de criminels de Marseille et leur transport en camp de concentration », « le dynamitage radical du quartier de criminels ». Le chef suprême des SS réclame également la participation : « dans le plus large mesure », de la police française et de la garde mobile car : « la porcherie de Marseille est une porcherie de la France ».

Six jours plus tard, la veille de la rafle, une dernière réunion est organisée, cette fois-ci à l’Hôtel de ville. Le photographe officiel de la Wehrmacht immortalise la scène. On y aperçoit René Bousquet, large sourire aux lèvres et cigarette à la main, poser au côté de Bernhard Griese, chef des SS à Marseille, le commandant Rolf Mülher du SIPO-SD ( police de sécurité) et Antoine Lemoine, préfet régional de Marseille.

Aucun responsable français n’a été jugé pour ce crime. Pourtant en ce 24 janvier 1943, environ 12 000 policiers et gendarmes français sont venus de toute la France pour participer à la rafle : « le plus grand dispositif policier mis en place pendant la seconde guerre mondiale ».

A Marseille et encore moins ailleurs, peu de gens connaissent l’histoire de cette rafle. Comme si la mémoire collective avait préféré noyer un souvenir douloureux.

C’est pourquoi les survivants et leurs familles ont entamé une bataille mémorielle en créant un collectif, en octobre 2019, auquel ont adhéré 62 personnes dont 14 rescapés.

Une bataille mémorielle pour rappeler :

  • Que l’horreur était déjà présente en 1907 quand Louis Bertrand écrivait dans la revue ‘’L’invasion’’ : « d’abord ce furent quelques groupes isolés, puis des bandes compactes, puis une véritable armée. C’est l’assaut mené contre la cité phocéenne par la grande foule houleuse de l’invasion Italienne ».
  • Qu’elle l’est toujours en 2022 dans les propos similaires de l’extrême droite.

 

( extraits de lecture du livre : « Marseille 1943 la fin du Vieux-Port » de Guicheteau Gérard, collection ‘’ archives de guerre’’, édité par Daniel et compagnie en 1973. Revue Gibraltar numéro 9 article : mémoire d'une rafle oubliée)

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