C’est un gouvernement de coalition entre le centre, la droite et l’extrême droite qui a propulsé Hitler au pouvoir en 1933 en Allemagne. Le « centre bourgeois » très affaibli électoralement pensait que sa survie politique était liée à une coalition dont il tiendrait les rênes. Comprendre cet échec passé, c’est se donner les moyens de peser sur le présent.
L’hyperprésident (2/6)
Le futur président de la République allemande, Hindenburg, soigne son image de soldat prussien. Comme son homologue, Pétain, il est retraité au début de la guerre de 1914 – 1918.
Hindenburg n’était pas qu’une statue vivante. Il était très susceptible, toujours prêt à défendre son honneur, il accablait de sa rancœur quiconque lui rappelait ses inconduites et ses mensonges et ils étaient nombreux :
- C’est lui qui mentit ouvertement devant une commission d’enquête parlementaire à l’automne 1919, en niant que l’armée allemande avait été en difficulté pendant l’été 1918 et en accréditant la fable du « coup de poignard dans le dos » popularisée par les nazis.
- C’est aussi lui qui se disait célèbre auprès de « ses camarades de tranchées » et les abandonnait à la première occasion, dès qu’ils avaient cessé de servir ou que ceux-ci menaçaient ses intérêts.
Hindenburg menait une vie de retraité bourgeois à Hanovre lorsque les partis de droite et associations patriotiques vinrent solliciter sa candidature à la présidence du Reich.
Fait notable permis par la législation allemande, Hindenburg accepta d’être candidat au second tour de l’élection présidentielle sans avoir participé au premier.
Au soir du second tour, le 29 avril 1925, il fut élu à la majorité relative de 48,3 % des voix, trois points seulement devant le candidat social-démocrate.
Hindenburg déménagea à Berlin, où il arriva le 11 mai 1925. Le 12 il prêta serment devant le président du Reichstag, le SPD Paul Löbe.
Il jura fidélité à une Constitution qu’il venait à peine de découvrir, mais dont il appréciait les pouvoirs considérables conférés au président du Reich.
L’article 47 lui attribuait « le commandement suprême des armées », l’article 45 en fait le représentant du pays à l’étranger, l’article 53 lui donnait le pouvoir de nommer chancelier et ministres, l’article 25 de dissoudre le Reichstag.
Cet éternel serviteur de la monarchie comprenait qu’il était le souverain de la République. Il comprenait aussi que la Constitution allemande était assez plastique pour être infléchie vers une pratique présidentialiste des institutions.
Hindenburg était entouré d’un cercle de conseillers très étroit. Son fils Oscar, son officier d’ordonnance, son chef d’État-major particulier.
Autour de ce cœur du pouvoir gravitaient des hommes de droite, des grands agrariens, des militaires. Au fil des audiences ils transmettaient les desiderata des grands patrons et des grands propriétaires.
Une sorte de microcosme présidentiel se mit en place avec toutes les caractéristiques d’un régime présidentiel et d’une démocratie en voie de déliquescence.
La République de Weimar devint un régime présidentiel. La personnalisation du pouvoir suscita des phénomènes de dégénérescence typiques : courtisanerie, manœuvres d’antichambre, conciliabules de cabinet, promotion des médiocres.
Cette obséquiosité installée au plus haut niveau de l’État entraîna les erreurs, les errements, propre aux gouvernements de cour. Pour ne pas déplaire, les affidés ne contredirent pas, ne rapportèrent pas la vérité. L’analyse politique était abandonnée pour la carrière personnelle.
Ces travers présidentiels eurent des incidences majeures ; pendant longtemps Hindenburg ne supporta pas « le caporal autrichien », puis il commença à l’apprécier.
Dans un régime aussi personnalisé qu’une république présidentialiste, des considérations effarantes de vacuité deviennent décisives et font la une de chroniqueurs qui glosent sur le néant.
On imagine mal ce que ces chuchotis, vengeances personnelles, intrigues d’arrière-cuisine, fomentées par des personnages serviles pèsent dans l’accession des nazis au pouvoir.
Pourtant c’est cette dynamique qui va conduire à la nomination d’Hitler à la chancellerie par Hindenburg.
Aujourd’hui en France, au moment où l’hyperprésident Macron produit à peu près les mêmes effets il faut se rappeler quelle a été l’issue allemande.
P.S : cet article est rédigé à partir de notes de lecture de l’excellent livre de Johann Chapoutot intitulé « Les irresponsables, qui a porté Hitler au pouvoir ? », il est publié aux éditions Gallimard, édité en février 1925, il est vendu au prix de 21 euros. Je vous en conseille vivement l’achat et la lecture. Ce livre est totalement d’actualité par les parallèles qu’il dresse et les explications qu’il donne.