Quand et comment, le centre bourgeois fait appel à l’extrême droite ? (4/6) Le magnat des médias

par | 8 juin 2025 | Histoire

C’est un gouvernement de coalition entre le centre, la droite et l’extrême droite qui a propulsé Hitler au pouvoir en 1933 en Allemagne. Le « centre bourgeois », très affaibli électoralement pensait que sa survie politique était liée à une coalition dont il tiendrait les rênes. Comprendre cet échec passé, c’est se donner les moyens de peser sur le présent.

Le magnat des médias (4/6)

Alfred Hugenberg est le « Führer oublié » de l’Allemagne des années 1928-1933. Par son activité médiatique, il a transformé l’espace et le débat public allemand en incubateur des idées d’extrême droite.

Entrepreneur idéologique, seigneur de l’industrie lourde, magnat des médias, il est le précurseur des Rupert Murdoch, Silvio Berlusconi, Vincent Bolloré.

Ces grands patrons de presse et de télévision modernes qui ont mis leur fortune au service d’une ambition politique ou d’un projet antidémocratique.

Hugenberg né en 1865, issu d’un milieu bourgeois nationaliste et conservateur a grandi dans le jeune empire allemand de Bismarck et Guillaume II.

Étudiant en droit, il se familiarise avec la culture raciste et antisémite des élites politiques de son temps.

Dans un premier temps, il exerce dans la haute fonction publique et devient un des principaux dirigeants de la « Commission prussienne et royale de colonisation », créée en 1886.

Parallèlement, il est en 1891 un des membres fondateurs de la Ligue Pangermanique où s’élabore une conception ethnonationaliste de l’histoire humaine. La « lutte des races » et l’acquisition d’un « espace vital » propre à renforcer le peuple biologique aryen y occupent une place centrale.

Pour diffuser ces idées, il réfléchit à la construction d’un appareil médiatique.

Abandonnant les questions agricoles et rurales, Hugenberg quitte la fonction publique et rejoint l’industrie rhénane, il devient en 1909 le président du directoire de l’entreprise Krupp.

Élu député à l’Assemblée constituante de Weimar en 1919, Hugenberg s’oppose à l’avènement d’une République parlementaire. Il est réélu député sans discontinuer. Il mène une politique d’opposition constante et sans concession à tout projet d’inspiration démocratique et sociale ainsi qu’une guérilla permanente contre tout gouvernement de gauche ou du centre.

Dès 1913, il rachete plusieurs agences de presse. En 1916, il acquiert le troisième groupe de presse allemand qui domine le paysage de l’information dans le Reich.

Il édifie avec méthode un groupe industriel horizontal qui associe journaux, banques, agences de presse. Ce conglomérat lui permet de gagner de l’argent et de diffuser ses idées. Lors de l’accession au pouvoir d’Hitler, Hugenberg possède 1600 journaux qui relayent son message.

Il acquiert en 1927 la plus grande entreprise cinématographique allemande, la UFA. Il achète également la « Deulig » qui est spécialisée dans la confection des actualités cinématographiques qui sont diffusées dans les cinémas allemands avant la projection des films.

Ce redoutable empire des médias écrits et visuels fonctionne sur un modèle rhétorique et graphique basique : gros titres noirs soulignés en rouge, usage abusif des points d’exclamation et des termes tranchants. Il est alimenté par des caricatures grossières, le culte du sensationnel et de l’immédiat.

Une déclaration, une supputation est déjà élevée au rang d’évènement mondial en boucle sur tous les moyens d’information. La vérité des faits et l’analyse des situations passent bien sûr par pertes et surtout profits.  

Hugenberg ne se contente pas d’être un magnat des médias d’extrême droite. Il entre personnellement dans l’arène politique en prenant le contrôle du DNVP en 1928.

Il rompt très vite avec toute idée de participation gouvernementale et droitise et radicalise la ligne de ce parti qui était à l’origine national-conservateur pour le classer à l’extrême droite.

Le discours du DNVP ne se distingue quasiment pas de celui des nazis à une nuance près, les nazis font semblant de s’opposer au capitalisme financier qui est associé aux juifs, alors que le DNVP ne dévie pas d’une ligne pro-business.

Non content de nazifier l’espace public, Hugenberg travaille à intégrer le NSDAP d’Hitler à l’union des droites qu’il appelle de ses vœux.

Pour des raisons tactiques, Hitler entretient Hugenberg dans cet espoir et leurs forces peuvent s’unir pour proposer en 1930 un plébiscite populaire (un référendum) pour renverser le gouvernement de l’État de Prusse, dont l’État est qualifié « d’État SPD (social-démocrate) ».

Sur la lancée de ce plébiscite, et malgré le désastre électoral essuyé par son parti à l’automne 1930, Hugenberg propose aux forces de la droite et de l’extrême droite allemande de créer un « front national ».

Le 11 octobre 1931, 10 000 personnes se réunissent pour acter la formation de ce front qui s’appelle « Front de Harzburg ». Front qui réclame la formation d’un gouvernement vraiment patriote face à : « L’échec successif des gouvernements, la terreur sanglante exercée par le marxisme, les progrès de bolchevisme culturel, la destruction de la nation par la lutte des classes ».

Un des objectifs de cette « union des droites » est de présenter un candidat commun et unique en mars 1932 aux élections présidentielles.

Lors de la désignation d’Hitler comme chancelier en janvier 1933, Hugenberg devient ministre de l’Économie, de l’Agriculture et de l’Alimentation.

Le 27 juin 1933, il est contraint d’abandonner ses portefeuilles ministériels et son parti est dissous.

À la fin de 1933, les nazis l’obligent à céder ses entreprises de médias. Il reste membre du Reichstag jusqu’en 1945 malgré la dissolution du DNVP et de tous les autres partis.

Après la guerre, il est emprisonné par les Britanniques, il meurt en 1951 à l’âge de 85 ans.

P.S : Cet article est rédigé à partir de notes de lecture de l’excellent livre de Johann Chapoutot intitulé « Les irresponsables. Qui a porté Hitler au pouvoir ? », il est publié aux éditions Gallimard, édité en février 2025, il est vendu au prix de 21 euros. Je vous en conseille vivement l’achat et la lecture. Ce livre est totalement d’actualité par les parallèles qu’il dresse et les explications qu’il donne.

NSDAP (Parti national socialiste des travailleurs allemands)

DNVP (Parti populaire national allemand)

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Didier Ribo

Description de l'auteur de l'article - co-fondateur du journal majoritaire de Béziers