Gaza. Mort, vie, espoir.

par | 1 juin 2025 | Culture, Société

Le 28 mai 2025, Attac Hauts Cantons avec la collaboration du groupe AFPS Béziers (Association France Palestine Solidarité) a organisé une conférence-débat au Bousquet d’Orb avec deux co-autrices Sarah Katz et Brigitte Challande sur leur livre : « Gaza : vie, mort, espoir ». Elles nous ont accordé un entretien.

Ce livre rend conte depuis Gaza grâce au rapport d’ un correspondant sur place l’horreur qu’affrontent les Gazaouis, de leur souffrance majeure, mais aussi de leur vitalité, de leur solidarité à toute épreuve exempte de tout esprit revanchard.
De nombreuses rectifications sur l’histoire véritable de l’annexion de la Palestine par Israël ont été apportées.
Soixante dix personnes environ participaient et le débat fut riche et animé.
L’évènement a été enregistré (on peut écouter cette conférence à la fin de l’article) et s’est clôturé par un buffet bien apprécié.

Entretien avec Sarah Katz et Brigitte Challande

Propos recueillis par Robert Martin

EVAB : En Vie à Béziers est aujourd’hui au Bousquet d’Orb  pour une conférence sur Gaza. On a déjà beaucoup parlé du conflit palestinien sur notre site, en particulier depuis le 7 octobre 2023 mais aussi bien avant. Les deux conférencières Brigitte Challande et Sarah Katz sont à mes côtés. Elles sont venues nous parler d’un livre (1) sur Gaza, évidemment. Son titre est symbolique « Gaza, mort, vie, espoir ». Trois mots essentiels, dans cet ordre. La mort est partout à Gaza ?

Brigitte Challande : Bonjour et merci pour votre accueil. Peut-être dire d’abord que Gaza est un endroit du monde dont on s’occupe quand même depuis longtemps, dont on parle depuis longtemps, car ce livre est un deuxième livre. On a publié un livre en 2017 qui s’appelait « Gens de Gaza »  et qui était effectivement centré sur toute la société civile de Gaza et toute la vitalité effective qui peut exister à Gaza et donc depuis qu’Israël attaque Gaza, depuis le 8 octobre. Mais ce n’est pas la première attaque. Il y a eu 2014, il y a eu 2008, 2009, il y a eu 2020, 2021. Cela n’a pas cessé. Donc effectivement, la mort en ce moment par les bombardements, par la famine, par toute sorte de moyens, la vie parce qu’ il reste énormément de vie et de résistance qui est organisée dans les camps de déplacés. C’est de cela dont traite essentiellement le livre et l’espoir parce que Gaza est à la racine du monde et ce conflit concernent le monde entier.

EVAB : On parle du mot mort, on parle aussi de génocide.

Sarah Katz : Bien sûr, on parle de génocide. Il faut bien voir que quand on dit « on », ce n’est pas simplement des idées que certaines personnes ont eu comme ça. Il y a une définition du droit international sur le génocide. Des organisations qui sont chargées de dire le droit humanitaire international, après de très longues études, ont rendu leur verdict : on est en train d’assister en direct à Gaza à un génocide, c’est-à-dire au fait d’essayer de priver une population de son existence même, de ses moyens d’existence, en en tuant  une bonne partie, mais aussi en empêchant la vie civile, la vie citoyenne de s’organiser à Gaza. Donc oui, on est face à un génocide.

EVAB : Les chiffres sont impressionnants ?

SK : Les chiffres sont très impressionnants. Je ne sais pas si vos lecteurs se rappellent les bombardements terribles de l’automne 2023. Quand ils commencent à y avoir des dénombrements, les radios, toute la sphère médiatique, disaient « suivant les chiffres du ministère de la Santé », mais comme ce ministère de la Santé était relié au Hamas, ils rajoutaient : « on ne peut pas trop croire aux chiffres », c’était complètement faux. Le ministère de la Santé a organisé la compréhension et la connaissance de ce qui se passait, de manière extrêmement fine. C’est-à-dire que sont répertoriés réellement les cadavres retrouvés. Mais on sait parfaitement, et c’est étudié scientifiquement, que dans des cas de conflits aussi violents, entre le nombre de morts que l’on retrouve et le nombre de morts réels, ceux qui sont encore sous les décombres, il peut y avoir jusqu’à un facteur 10. Donc même si vous n’appliquez qu’un facteur 4, on en est en réalité, 50 000 fois 4, à 200 000 morts sur les 2 300 000 Gazaouis. C’est absolument énorme, 70% sont des femmes et des enfants, c’est un massacre inimaginable.

EVAB : On a l’impression que le droit international n’est pas appliqué et que la communauté internationale, malgré ses menaces et ses recommandations, ne peut rien y faire. L’armée israélienne et Netanyahou, font ce qu’ils veulent, comme ils veulent, quand ils veulent ?

BC : Oui, effectivement, la voix des Etats-Unis, à chaque fois, qu’il était question de voter des résolutions contre justement cette situation, la voix des Etats-Unis s’opposait et à partir du moment où une voix s’oppose, c’est terminé. Donc, le soutien inconditionnel des Etats-Unis à Israël y a fait beaucoup. Mais il y a aussi l’Europe qui n’a pas su aller plus loin que les mots. Et aller plus loin que les mots, c’est par exemple mettre en cause et arrêter l’accord économique entre l’Union européenne et Israël, c’est arrêter de vendre des armes à Israël ou des composants d’armes, puisqu’il est dit parfois que ce ne sont pas des armes, mais il y a des composants d’armes. C’est un certain nombre de choses, comme le renvoi de l’ambassadeur d’Israël en France ou de France en Israël. Pour l’instant, ce ne sont que des mots, des mots et aucune action. Il est temps, vraiment plus que grand temps de passer à l’action. Et je crois que ça, c’est ce qui est dans les mains des sociétés civiles, c’est ce qui est dans les mains du peuple français, du peuple européen. Voilà, c’est à nous maintenant d’agir.

EVAB : Depuis le début de ces massacres, en France, en particulier, beaucoup de voix sur le plan syndical, politique, associatif, citoyen se sont élevées. Ils ont manifesté contre ce qui se passe à Gaza. Le gouvernement français a souvent interdit ces manifestations. Et en plus, tous ceux qui avaient l’air de lever leur voix contre ces massacres à Gaza étaient traités d’antisémites. Il y avait une forme d’amalgame, dans quel objectif ?

SK : Alors, c’est une des questions très importante du moment parce que cet appel à l’antisémitisme reste le dernier rempart pour ceux qui ne veulent pas voir et pas agir contre le massacre qui se passe. Alors moi, je suis membre de l’Union Juive Française pour la Paix. J’ai vécu deux ans à Gaza avec mon nom juif, avec mes cheveux non couverts et je n’ai pas eu le moindre problème. La question qui se passe en Israël/Palestine n’est pas une question religieuse. Le fait de devoir défaire cet état d’Israël, qui est un état voyou, n’est pas une question religieuse. C’est une question coloniale. Les Gazaouis nous ont tous dit, nous n’avons rien contre les juifs. Nous sommes et nous nous battons contre l’occupation. Et je voudrais aller un petit peu plus loin. De par mes origines, je fais partie des juifs Ashkénaze d’Europe centrale,  nous sommes donc les héritiers en réalité des survivants de la destruction des juifs d’Europe. Et bien, je peux le dire de manière très ferme, l’idéologie développée par le gouvernement israélien est plus proche de l’idéologie de ceux qui ont commis le génocide, que de ceux, qui sont nos parents, qui l’ont subi. On est face à un régime qui se dit explicitement suprémaciste, qui dit que certains, sur cette terre, ont plus de droits que d’autres. Et ça, il faut absolument le défaire. L’antisémitisme, c’est un crime. Parce que tous les racismes sont des crimes. Mais pour les gens épris de liberté, se battre contre l’État voyou d’Israël, c’est un devoir.

EVAB : Après « mort », dans le titre du livre on trouve « vie » et « espoir ». Ils vont ensemble ?

BC : Oui, bien sûr. Dans ce livre, ce qui est développé, le nœud  du livre, on va dire, c’est effectivement le travail qui s’est fait des équipes qui sont là-bas à Gaza et qui sont soutenus par l’Union juive française pour la paix avec des correspondants qui ont tout organisé, ce qui a permis de conserver une vie correcte, une vie digne. Ça va de s’abriter, de s’habiller, de s’alimenter, c’est-à-dire distribution de repas, à la scolarisation des enfants au soutien psychologique des femmes, des hommes, des enfants à la mise en place de sanitaires  dans les camps, au fait de pouvoir rendre ses camps vivables et beaucoup plus humains. On va dire, c’est ça la vie aussi, c’est rester humain.

EVAB : Dans la résolution de l’ONU de 1948, il y avait la création de l’État d’Israël, mais aussi la création de l’État de Palestine. 80 ans après, on en est encore aux tergiversations. Une réunion  a eu lieu récemment à Madrid, d’un certain nombre d’État qui reconnaissent cet État Palestinien,  c’est la solution pour vous ?

SK : Alors il y a deux choses qui sont relativement différentes. La question de la reconnaissance de l’État Palestinien est très importante. Et si vous regardez, et c’est vraiment la caractéristique de notre époque, les votes de l’Assemblée Générale de l’ONU, vous avez en gros l’ensemble du monde d’un côté, qui a reconnu et qui veut reconnaître l’État de Palestine, et vous avez quelques pays puissants, les États-Unis, et malheureusement encore la France, et quelques autres pays européens qui refusent absolument de le faire. Il est certain que le fait de répéter et de redire que le peuple palestinien a droit à l’autodétermination et a droit à décider un État, est fondamental. Maintenant, il y a une propagande qui est en train de se développer et qui dit que la solution, ça va être deux États. On va couper ce petit morceau de territoire en deux et on va faire deux États. J’attire votre attention sur la chose suivante. Quels États ? D’abord, l’État de Palestine, vous le mettez où ? La Palestine historique a été entièrement envahie, mitée. Il n’y a pas de territoire libre. Les colonies sont partout. Vous le mettez où ? Et puis surtout, comment vous traitez le problème cœur du peuple palestinien, qui est un peuple de réfugiés ? Israël s’est bati sur un nettoyage ethnique. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que l’écrasante majorité des palestiniens sont des réfugiés. Si vous ne traitez pas le problème des réfugiés, si vous n’appliquez pas la résolution de l’ONU disant, toute personne qui a été chassée de chez elle, les armes à la main, a le droit imprescriptible d’y retourner. C’est-à-dire si vous ne traitez pas la question du droit au retour alors ce que vous racontez à partir de deux États, n’a aucun sens. Il faut que les palestiniens puissent retourner sur leurs terres. C’est le droit international. Et de l’autre côté, quel État israélien ?  Un État d’apartheid ? Non. L’actuelle constitution,(qui n’est pas une constitution mais un ensemble de lois fondamentales mais qui joue le rôle de constitution) , cet actuel ensemble de lois fondamentales d’Israël donc viole directement le droit humanitaire international. Israël a proclamé en 2018 une loi qui s’appelle « Israël État nation du peuple juif » et qui a dans son troisième paragraphe (il n’y a que trois paragraphe très courts), « le droit à l’autodétermination est spécifique aux juifs ». Cela est inadmissible. On ne peut pas accepter un État comme ça. C’est un État qui est en dehors de la loi commune qui affirme : « un État doit être un État de tous ses citoyens ». Donc quand on dit la solution, c’est deux États, il faut encore dire quels deux États. Et en tant que juive, et ceci est la position de toute l’UJFP (union des juifs français pour la paix), je vous dirais, d’abord, que c’est aux gens sur place de le décider, toutes les populations sur place. Et deuxièmement, probablement, la seule voix de sortie, elle est à un État organisé, fédéral, comme les gens le décideront mais dans lequel seront proclamés les droits égaux pour tous.

EVAB : L’espoir, c’est peut-être ce qui passe en Israël  avec les mobilisations qu’on voit à Tel Aviv et ailleurs. Le gouvernement Netanyahou se maintient aux forceps contre une partie de sa population. Est-ce qu’au fond l’espoir qu’il y ait un changement en Palestine viendra-t-il du peuple israélien lui-même?

BC : Non, je ne crois pas. Mais bon, peut-être. Ce qui est la première chose à faire maintenant concernant l’espoir, c’est de sanctionner cet État. C’est-à-dire que c’est la responsabilité, je dirais presque du monde, des États du monde, des États qu’on dit pseudo-démocratiques de sanctionner l’État d’Israël. Après, ça ne veut pas dire que des choses ne peuvent pas se passer à l’intérieur d’Israël, Il faut savoir quand même qu’il y a (et on en parle très très peu dans la presse et ailleurs) des milliers d’Israëliens qui ont quitté Israël depuis le 7 octobre 2023 car ils ne supportent plus  les prises de position de leur État. On a entendu récemment sur les radios françaises, la prise de position de l’ancien ambassadeur d’Israël en France, qui appartient au Likoud et qui a dit, « ça n’est plus possible. Il faut arrêter, moi aussi, je vais partir ». Donc je crois qu’effectivement, il n’est pas question de réparer un génocide, par un génocide, ce n’est pas ça, la question. Mais  peut-être la première des choses, c’est sanctionner cet État sur ce qui s’est passé et à ce moment-là, travailler d’une part à l’autodétermination du peuple palestinien et d’autre part à la reprise du  dialogue.

EVAB : On a quand même l’impression que c’est une histoire sans fin depuis 80 ans.

SK :   C’est à la fois un très vieux conflit, effectivement, parce qu’il est ouvert par l’épisode du nettoyage ethnique de 1948, qui a été autorisé de fait par l’ONU avec la proposition du plan de partage. Il a été effectué par les armées du proto-État d’Israël, qui existait en réalité depuis 1900, qui s’est construit petit à petit sous le parapluie du mandat britannique. Mais c’est donc à la fois un très vieux conflit et en même temps, c’est une question qui ne peut pas être plus actuelle. La question qui est posée, c’est, est-ce qu’on accepte, en 2025, la recolonisation? Est-ce qu’on accepte qu’un colonialisme de remplacement qui consiste à chasser les autochtones pour s’installer, est-ce qu’on accepte que ça puisse gagner? C’est une question extrêmement importante parce que ça signifie fondamentalement, est-ce qu’on accepte ou non qu’on retombe malgré tous les espoirs de 1945, malgré la fabrication d’un droit humanitaire international, est-ce qu’on accepte de retomber dans la loi de la jungle et je pense que la réponse doit être non !

BC :  Et donc, se demander dans quel monde on veut vivre !

EVAB : Brigitte Challande et Sarah Katz, Merci beaucoup.

BC et SK : Merci à vous pour accueil et votre écoute

(1) « Gaza. Mort, vie, espoir » – Editions Rive Neuve – 230 pages – 20€ – Parution : 24 avril 2025

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Conférénce de Sarah Katz et Brigitte Challande

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