Pour mesurer la radicalité de la révolution portugaise, je vous propose de revenir sur trois grèves emblématiques : la TAP, Lisnave et la presse.

La TAP est l’entreprise nationale de transports aériens. Le 2 mai 1974, la commission des travailleurs de la TAP présente à la Junte de salut national (JSN) un document comprenant une série de revendications portant sur les salaires, l’épuration des fascistes et l’organisation en autogestion de l’entreprise.

Ce document est approuvé lors d’une assemblée générale des travailleurs dans l’une des plus grandes salles de spectacles de Lisbonne.

La JSN l’accepte, non sans demander que le verbe « exiger » soit remplacé par « requérir ».

Lors de cette assemblée générale, une commission administrative chargée d’essayer de concilier les intérêts des parties opposées est créée. Elle est composée de trois représentants de travailleurs et de trois militaires nommés par la JSN.

La commission administrative met en garde contre une baisse des recettes de la TAP qui entraînerait des licenciements. La commission des travailleurs réagit. La commission administrative répond par un communiqué qui s’apparente à une déclaration de guerre.

La réponse ne se fait pas attendre. La commission de travailleurs se réunit, condamne les insultes et retire sa confiance à la commission administrative.

Le 25 juillet 1974, les travailleurs de la maintenance décident de décréter la grève dans le cas où leurs revendications ne seraient pas satisfaites. Leur grève commence le 26 août 1974, à l’issue du délai donné à l’entreprise pour satisfaire leurs revendications.

Le gouvernement répond en envoyant l’armée étouffer le mouvement. Dès le 28 août, le personnel est soumis au règlement disciplinaire militaire. L’entrée de la TAP est interdite à tous les organes de presse.

Le mouvement se poursuit le 29 août sous la forme d’une grève « des bras croisés ».

Après quatre semaines de luttes, une nouvelle grève est engagée le 24 septembre, elle paralyse l’ensemble de la compagnie. Un détachement militaire embarque huit travailleurs. Dans la matinée deux cents travailleurs sont licenciés.

Le 25 septembre, une manifestation rassemble 5 000 personnes. Le 28 septembre 1974, la tentative d’un coup d’État de droite se solde par un échec.

La grève prend fin quand la discipline militaire est abrogée et quand les travailleurs licenciés sont réintégrés.

La deuxième grande grève concerne les chantiers navals de Lisnave. Tout comme la TAP, les chantiers navals sont économiquement stratégiques pour le pays.

Le 7 septembre 1974, une assemblée générale de 2000 salariés projette une manifestation.

Craignant la propagation de la lutte à d’autres entreprises, le ministère de l’Intérieur déclare la manifestation illégale. Une délégation du MFA se rend à Lisnave pour tenter de convaincre les ouvriers de reporter la manifestation.

Équipées d’un arsenal militaire conséquent, les forces militaires encerclent le chantier naval. Les fusiliers marins refusent de réprimer la manifestation qui dure 6 heures et parcourt les principales avenues de Lisbonne. La suite de la manifestation se passe sans encombre.

Gravement menacés par la censure avant le 25 avril, les travailleurs de la presse se sont radicalisés dans ce que l’on appelle « la bataille de l’information ». Le « Jornal do Comercio » constitue la figure de proue de cette lutte.

Le 22 août 1974, les 300 salariés du « Jornal do Comercio » entament une grève et occupent les bureaux. Ils revendiquent la liberté de la presse et accusent la direction du journal d’encourager une ligne éditoriale d’extrême droite. Devant le refus de négocier, ils poursuivent le mouvement et publient un journal de grève.

Le gouvernement répond à nouveau par la force. Dans la nuit du 26 au 27 août la police et l’armée assiègent les locaux. Le 28, les travailleurs sont évacués et des scellés sont posés afin d’empêcher la parution du journal de grève.

L’affaire provoque une vague de solidarité dans toute la presse. La grève du « Jornal do Comercio » dure 46 jours et ne prend fin qu’après le 28 septembre, au moment où est lancé un mandat d’arrêt contre le directeur du journal accusé d’avoir participé à la tentative de coup d’État de la droite.

( Cet article est issu de notes de lecture du livre de Raquel Varela « Un peuple en révolution, Portugal 1974-1975 » édité par les éditions Agone, édité en 2018 ; 24 euros, 395 pages. Je vous en recommande vivement la lecture ).

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