Une autre histoire – 22 avril 1915, début de la « grande » guerre chimique

par | 20 avril 2024 | Culture

Le 22 avril 1915, voilà exactement 109 ans, près du village flamand de Langemarck, au Nord d’Ypres, vers 17 heures, dans une légère brise d’est,  les Allemands emploient pour la première fois du gaz asphyxiant contre les Français et les Britanniques..

Les soldats britanniques voient venir en provenance des tranchées allemandes un épais nuage d’un vert jaunâtre qui dérive vers les tranchées tenues par les troupes coloniales françaises de Martinique.

Les soldats s’enfuient mais plusieurs centaines s’effondrent et quelques milliers vont demeurer handicapés à vie ou pendant plusieurs mois. Atteints par le chlore, un gaz suffocant qui agresse les voies respiratoires, ils sont les premières victimes de la guerre chimique.

Quand éclate la Grande Guerre en août 1914, les stratèges privilégient l’offensive mais, dès octobre 1914, les troupes s’enterrent dans des tranchées. Dans les états-majors, cette immobilité est insupportable. Dès lors, on se met en quête d’un moyen de percer le front et l’on songe aux gaz.

L’Allemagne a l’avantage d’être le N°1 mondial de la chimie dans le monde… C’est pourquoi elle va avoir le douteux honneur de lancer la première attaque chimique. L’objectif est de «nettoyer» les tranchées ennemies en vue de percer enfin le front et de reprendre la guerre de mouvement tant prisée des états-majors.

Les soldats allemands du secteur reçoivent donc les bonbonnes de chlore liquide et les ouvrent quand le vent est enfin favorable. Le chlore se vaporise instantanément et s’échappe vers l’ennemi. Tout en se protégeant la bouche et les narines avec un tampon humide, ils se lancent à l’assaut dans la foulée. Les soldats britanniques, surpris, désertent immédiatement leurs tranchées et les Allemands progressent en quelques heures de plusieurs centaines de mètres. Mais faute de renforts en nombre suffisant, ils sont bloqués dès le lendemain par la troisième ligne de défense ennemie.

Une nouvelle attaque chimique allemande, dans le même secteur, dans la nuit du 22 au 23 mai 1915, se solde par un échec car les Britanniques, remis de leur surprise, ont déjà pu se doter de tampons protecteurs et faire front à l’assaut.

Côté britannique, le major Charles Foulkes prépare la riposte chimique elle-aussi. La première attaque britannique a lieu à Loos, près de Lille, le 25 septembre 1915. L’effet de surprise est total et permet en certains endroits aux troupes d’assaut britanniques d’avancer de cinq kilomètres. Mais comme à Langemarck, le résultat final est mitigé.

Pendant les deux années qui suivent, sur le front occidental et sur le front russe, les belligérants vont poursuivre les attaques au chlore. Mais les résultats tactiques ne sont pas au rendez-vous et les états-majors se désintéressent peu à peu de cette arme.

Poursuivant leurs recherches, les Allemands reviennent à l’idée d’obus chimiques et mettent au point un gaz très toxique, le sulfure d’éthyle dichloré (ou «gaz moutarde»). Très agressif, il n’attaque pas seulement les voies respiratoires mais aussi la peau ce qui complique beaucoup les protections. On le surnommera aussi très vite «ypérite», en relation avec Ypres.

Le moment propice arrive dans la nuit du 12 au 13 juillet 1917 et ce sont une nouvelle fois les Britanniques du secteur d’Ypres qui font les frais de l’expérimentation. , toujours dans le secteur d’Ypres, la guerre chimique franchit un nouveau seuil dans l’horreur avec l’usage par les Allemands des premiers obus remplis de gaz moutarde.

L’artillerie allemande déclenche le bombardement chimique pendant la nuit. Sur le moment, les Britanniques ne ressentent rien de plus qu’une légère odeur piquante de moutarde. Mais au lever du jour, ils se réveillent avec des douleurs intolérables et des cloques et brûlures sur tout le corps.

Près de quinze mille fantassins sont atteints, avec des séquelles graves et durables. Un demi-millier succombent. C’est autant que de victimes britanniques des gaz dans l’année précédente.

Malgré l’extrême dangerosité de leur fabrication et de leur manipulation, les obus d’ypérite vont désormais relancer la guerre chimique et en devenir le principal vecteur.

Il ne s’agit plus pour les belligérants de percer le front mais d’user l’adversaire, tant au physique qu’au moral. D’arme tactique, les gaz deviennent une arme d’usure. Le but est assez largement atteint.

Dans tous les camps, les fantassins se voient contraints de porter à chaque alerte des équipements de protection et des masques qui gênent leurs mouvements et aggravent encore un peu plus leurs conditions de vie. Il arrive que, de lassitude, ils les enlèvent trop tôt après l’alerte, au risque d’être touchés par le gaz. Qui plus est, l’ypérite ne produisant ses effets délétères qu’après plusieurs heures, chacun vit dans l’angoisse d’avoir été touché à son insu au début de l’alerte.

Dans la dernière année de la guerre, sur le front occidental, un tiers des obus allemands ont une composante chimique (pas forcément de l’ypérite). La proportion est moindre chez les Alliés franco-britanniques pour la simple raison que ceux-ci n’ont pas autant de ressources industrielles.

Le bilan humain de la guerre chimique est d’environ cinq cent mille tués et blessés sur le front occidental et au moins deux cent mille sur le front russe. C’est environ 3% des pertes totales de la Grande Guerre. L’échec tactique de l’arme chimique et le souvenir de ses horreurs vont conduire les grandes puissances à interdire son utilisation.

Un «protocole concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques» est signé le 17 juin 1925, à Genève, dans le cadre d’une conférence internationale sur le commerce des armes. À vrai dire, ce protocole de Genève, sans caractère coercitif, ne va pas avoir d’effet concret.

Le gaz, comme arme de terreur, a pu être employé, dans des conditions heureusement restreintes, dans la guerre du RIF en 1925 ainsi que dans la guerre sino-japonaise et l’invasion de l’Ethiopie dans les années 1930.

D’importants stocks d’armes chimiques ont été aussi constitués par les belligérants de la Seconde Guerre mondiale sans être utilisés. Il est vrai qu’ils avaient mieux à faire avec les recherches sur la bombe atomique, une arme de destruction massive et de terreur autrement plus puissante. Après le précédent de la Grande Guerre, l’arme chimique est employée à grande échelle dans la guerre du Vietnam, à l’initiative des États-Unis, dans les années 1960.

Le corps expéditionnaire américain bombarde massivement la jungle et les rizières avec du napalm, qui brûle les habitations, et un défoliant, l’«agent orange», qui détruit la végétation et est supposé mettre les combattants ennemis à découvert. Les civils brûlés ou intoxiqués sont les victimes collatérales de ces bombardements.

Dans les années 1980, l’arme chimique refait surface en Irak à l’initiative de Saddam Hussein. Celui-ci l’emploie contre les Kurdes de son propre pays, à Halabja, le 16 mars 1988. L’attaque fait plusieurs milliers de victimes parmi les civils.

Les grandes puissances ne sont pas pour autant troublées, les médias se tiennent coi et l’opinion internationale regarde ailleurs. Sans doute pris de remords, les représentants de la quasi-totalité des États signent à Paris, le 13 janvier 1993, une Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’usage des armes chimiques et sur leur destruction.

Autrement plus contraignante que le protocole de Genève de 1925, cette convention a été sciemment violée par le gouvernement syrien, qui a bombardé avec des gaz la banlieue de Damas, le 21 août 2013, occasionnant plusieurs centaines de morts dans la population civile.

La guerre de Troie n’aura pas lieu écrivait Giraudoux, la guerre chimique, elle,  continue !

mais c’est une autre histoire !

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