Italie, octobre 1922 : dans les coulisses de la marche sur Rome (1)

par | 16 juin 2024 | Enquête

Pendant les quelques semaines qui mènent aux prochaines législatives de juin et juillet 2024, je vous propose de détailler les jours qui précèdent la prise de pouvoir fasciste en Italie en 1922.

Les moments de bascule vers le fascisme ne sont pas identiques, mais ils ont des ressemblances. Savoir ce qu’il s’est passé aide à comprendre ce qui ne doit pas se reproduire.

Cette semaine, nous revenons au 25 octobre 1922. Après la démonstration de force fasciste à Naples, Mussolini réclame le pouvoir. Dans une ambiance crépusculaire de fin de règne, le fascisme tisse sa toile d’araignée.

« Manifestation fasciste à Naples s’est déroulée dans l’ordre. Rien à signaler . . . Mussolini a ensuite prononcé un bref discours dans lequel il a dit . . . que si le gouvernement n’était pas donné aux fascistes, le fascisme le prendrait par la force. »

Télégramme d’Angelo Pesce, préfet de Naples au président du Conseil italien Luigi Facta le 25 octobre 1922,

Un groupe de messieurs distingués, emmenés par un type à lunettes et chapeau melon, s’approche de la voiture. Mussolini descend. Le type à lunettes l’attire à l’écart et lui parle avec animation. Il gesticule, se hâte, le temps est compté. De toute évidence, ils négocient. On vend et on achète quelque chose.

Mussolini négocie avec tout le monde depuis des semaines en sous-main, sans arrêt.

On négocie avec Antonio Salandra, ce soi-disant libéral aussi réactionnaire qu’un baron prussien, ce propriétaire terrien méprisant et misérable des Pouilles qui mesure encore en âmes la valeur de ses fiefs, ce fasciste honoraire encore plus à droite que les fascistes eux-mêmes, cet ancien président du Conseil qui a entraîné l’Italie dans la guerre contre la volonté du pays et qui a des millions de morts et de blessés sur la conscience.

Pour le flatter, Mussolini lui a promis une nouvelle présidence en échange de 5 ministres et n’a rien exigé pour lui-même.

On négocie avec Facta à la moustache de gendarme français, de notaire de province, la moustache d’un homme incompétent, las, aussi fidèle à son maître Giolitti qu’un chien d’arrêt. Facta est tenté par les joies crépusculaires de la retraite, mais il est aussi désireux de ne pas se ridiculiser face à l’histoire et séduit par la vanité d’un dernier tour de manège.

On négocie aussi et surtout avec Giolitti, le seul interlocuteur sérieux, le seul homme encore capable de rétablir l’autorité de l’État, d’imposer à Mussolini un malhonnête accord ministériel.

On négocie avec tout le monde, on exploite les myopies parlementaires, on joue à cache-cache, on mise sur plusieurs tableaux on parie tout, on fait confiance aux vetos croisés, on ranime les haines de faction.

Au fond, on leur promet la même chose : la présidence d’un gouvernement de coalition, l’appui des fascistes rachetés, en échange de 4 ou 5 ministères. On leur refile la même arnaque.

Le « plan secret » de Mussolini, l’objectif premier, demeure inchangé : gagner du temps, amener la crise politique à un point de non-retour, un point où il n’y aura plus d’alternative possible à un gouvernement fasciste, puis pousser Facta à la démission par la menace d’une insurrection et s’emparer du pouvoir sans coup férir. Le troisième temps de la révolution nationale devient le premier.

C’est effectivement une question de « timing », il convient de conjurer le « trop tôt », qui permettrait encore à d’autres de former un gouvernement d’urgence excluant les fascistes, et le « trop tard », qui révèlerait le bluff militaire de la marche sur Rome.

Mussolini répète à qui veut l’entendre « Un seul homme peut tirer sur les fascistes et c’est moi. », il le répète dans toutes ses négociations secrètes et promet à tous ses interlocuteurs qu’il liquidera les escouades fascistes dans la minute qui suivra son entrée au gouvernement.

Il fait croire qu’un seul homme est capable de sauver le pays du chaos et de la violence squadriste. C’est l’homme même qui doit d’abord la provoquer.

 

Cet article est composé d’extraits de lecture du livre d’Antonio Scurati « M, l’enfant du siècle » édité aux éditions Les Arènes en 2020. Je vous invite vivement à sa lecture.

Scurati, chercheur éminent, est aujourd’hui interdit de télévision par le gouvernement postfasciste italien de Gorgia Meloni à cause de ses écrits sur Mussolini.

Les fascistes ne veulent pas que leur duplicité soit exposée, c’est ce qui m’amène à vous proposer cette série hebdomadaire sur les coulisses de la marche sur Rome et la prise de pouvoir du fascisme en Italie pendant 23 ans.

La semaine prochaine nous remonterons le temps jusqu’au 26 octobre 1922 qui va voir les industriels, banquiers, grands patrons débarquer dans le bureau de Mussolini.

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Didier Ribo

Description de l'auteur de l'article - co-fondateur du journal majoritaire de Béziers