Une autre histoire – 28 novembre 1908, naissance de Claude Lévi-Strauss

par | 28 octobre 2022 | Culture

Le 28 novembre 1908, voilà exactement 114 ans, Claude Lévi-Strauss voit le jour à Bruxelles mais sa famille revient à Paris un an plus tard.

A partir de 1918, il fait ses études au lycée Janson-de-Sailly, puis à la Sorbonne. En 1927, il obtient à la fois sa licence en droit et son diplôme d’études supérieures de philosophie. L’année suivante, il devient agrégé de philosophie. Pendant ses études universitaires, Claude Lévi-Strauss s’est aussi engagé en politique: il est secrétaire général des étudiants socialistes S.F.I.O.

Après ses études de philosophie, le jeune Lévi-Strauss se tourne vers l’ethnographie. Il pressent dans cette discipline la possibilité de concilier ses passions pour l’empirisme de la géologie et pour la philosophie de la nature, la psychanalyse et la pensée marxiste, tout en échappant à l’aspect répétitif de la philosophie universitaire. « J’entrevoyais le moyen de concilier ma formation professionnelle et mon goût pour l’aventure », écrira-t-il plus tard. L’ethnologie n’est alors qu’une discipline naissante en France.

Lévi-Strauss s’installe au Brésil, pour devenir professeur de sociologie à l’université de São Paulo. En janvier 1936, à la faveur des vacances universitaires, il part avec son épouse Dina à la découverte de tribus indiennes du Brésil, parmi lesquelles les Caduveo et les Bororo du Mato Grosso, en s’enfonçant profondément dans la forêt amazonienne.

Il renouvelle son expérience deux ans plus tard avec les Nambikwara. Il racontera ses premiers séjours d’étude dans Tristes tropiques quelques années plus tard.

Juif français d’origine alsacienne, Lévi-Strauss perd son poste d’enseignant avec l’avènement du régime de Vichy. Exilé aux États-Unis, à New-York, pendant la Seconde Guerre mondiale, il se consacre à la rédaction de sa thèse, « Les structures élémentaires de la parenté », qui paraît en 1949. Il y définit le processus d’échange comme une constante structurante de l’esprit humain et explique que « la prohibition de l’inceste est le processus par lequel la nature se dépasse elle-même », le synonyme de l’entrée dans le monde de la culture.

Toutes les sociétés humaines ont en commun la prohibition de l’inceste, moins pour des raisons biologiques (dégénérescence génétique) que pour des raisons sociales (élargir le réseau de solidarité au-delà du cercle étroit de la famille). La prohibition de l’inceste évite aux clans de chasseurs-cueilleurs d’avoir à s’affronter quand l’un ou l’autre est en manque de femmes. Dans chaque clan, les hommes se gardent de toucher à leurs filles et leurs sœurs. Ils les utilisent comme monnaie d’échange avec les hommes des autres clans. Ainsi se constitue une société élargie et plutôt pacifique, fondée sur la coopération entre les beaux-frères.

La démarche de Lévi-Strauss se fait révolutionnaire en ce qu’il compare les sociétés humaines non pas d’après leurs « performances » (puissance, économie, richesse…) mais d’après leurs structures mentales, ce qui interdit tout jugement de valeur et toute hiérarchisation. Ainsi, que nous appartenions à une société occidentale moderne ou à une tribu amazonienne, nos choix de vie sont orientés par notre culture d’appartenance. Nous « fonctionnons » de la même façon, que nous portions un costume-cravate ou un étui pénien.

En 1952, Lévi-Strauss écrit à la demande de l’UNESCO un petit essai incisif, Race et Histoire, qui met en coupe réglée les théories racistes. Il insiste dans ce texte sur la diversité des cultures humaines et leur tendance à chacune de se considérer comme supérieure aux autres. Il récuse l’idée évolutionniste selon laquelle ces cultures seraient vouées à progresser par étapes, idée qui sous-entendrait que certaines seraient plus avancées que d’autres.

En 1955, la publication de Tristes Tropiques, qui frôle de peu le prix Goncourt, fait connaître les travaux de Lévi-Strauss au grand public. Dans ce récit de voyage aussi dense que passionnant, l’anthropologue ne s’en tient pas à ses séjours chez les tribus amérindiennes mais élargit son propos à l’Asie et l’Islam…L’historien Pierre Nora a défini cet ouvrage comme un « moment de la conscience occidentale »

En appliquant la notion de structure aux phénomènes humains, Lévi-Strauss applique à l’ethnologie un mouvement de pensée apparu en linguistique au début du XXe siècle: le « structuralisme » : une école de pensée qui a révolutionné notre approche des sociétés humaines. Il a imprimé une marque profonde dans la pensée contemporaine, tant dans les champs de l’ethnologie que de la sociologie, la philosophie, l’histoire ou la littérature. Ce mouvement a d’ailleurs été aussi illustré par le philosophe Michel Foucault, le psychanalyste Lacan et le sémiologue Roland Barthes.

L’anthropologie structuraliste devient dans les années 1960 une arme contre l’ethnocentrisme occidental, autrement dit la tentation de voir dans l’Occident moderne l’aboutissement à ce jour le plus accompli de la civilisation.

Au cours de ses nombreux voyages auprès de peuples dits « premiers », l’ethnologue s’est intéressé aux moindres aspects de leur vie en société, tous régis par des codes, qu’il s’agisse de recettes de cuisine, de règles de politesse, de l’usage des parures et des masques ou de la narration des mythes. Il a découvert des analogies entre des mythes amérindiens et grecs tout en restant prudent vis-à-vis de la notion d’universalité.

Athée, dénué d’humour et d’un naturel misanthrope qui s’est accentué avec l’âge, il a dénoncé dès les années 1970 une mondialisation synonyme d’uniformisation.

Membre de l’Académie française et Docteur Honoris Causa de nombreuses universités de par le monde, du Congo aux États-Unis, Claude Lévi-Strauss a traversé le XXe siècle en y faisant résonner un message humaniste, mais avec une vision quelque peu sombre de l’avenir.

En 2006, la création à Paris du musée du quai Branly, dédié aux Arts premiers dans leur diversité, a été en quelque sorte l’aboutissement de son travail pour faire reconnaître la valeur de ces civilisations d’Afrique, d’Amérique, d’Océanie et d’Asie.

Un musée à l’initiative de Jacques Chirac … mais lui c’est une autre histoire !

Version audio avec illustration musicale, à écouter sur Radio Pays d’Hérault ICI

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