Dans ce sixième et dernier extrait de lecture, Grégoire Chamayou pose une question fondamentale au libéralisme autoritaire : en quoi peut-il être un rempart contre les « démocraties illibérales » ?

Après des décennies de contre-réformes socialement dévastatrices, le néolibéralisme se trouve actuellement affecté d’une « crise de gouvernabilité » de grande ampleur.

La tendance dominante prend l’aspect d’un néolibéralisme autoritaire aux multiples visages.

Celle qui prévaut en France est celle d’un extrême centre. Elle partage avec l’extrême centre des années 1930 la prétention d’avoir la capacité de barrer la route à l’extrême droite.

Emmanuel Macron, lors de ses vœux à la presse du 3 janvier 2018, a employé une expression qui a fait couler beaucoup d’encre. Il a ce jour-là monté en épingle la : « tentation des démocraties illibérales ».

Cette notion a été critiquée, à juste titre. Mais d’où vient-elle ? On la date habituellement d’un article publié en 1997 par le journaliste américain Fareed Zakaria. Ses origines sont en réalité plus anciennes.

On la trouve au plus loin chez le penseur espagnol Ortega y Gasset, cet économiste néolibéral fustigeait le « soulèvement des masses », qu’il décrivait comme une populace écervelée, qui cherchait « à s’émanciper de la direction d’une élite spirituelle », et « menaçait la civilisation occidentale ».

Son leitmotiv était le suivant : « la montée en puissance des masses est la cause principale de l’illibéralisme (…) l’homme de masse lutte contre la démocratie libérale pour la remplacer par une démocratie illibérale ». Il en tirait la conclusion suivante : « Par conséquent, bien que le libéralisme exige la démocratie, il faut l’assortir de limites et de garanties pour s’assurer que le libéralisme ne soit pas englouti par la démocratie. »

Cet anathème élitiste amalgame et fusionne les contraires : fascisme et socialisme.

Finalement, les tenants du libéralisme autoritaire proposent une limitation accrue de la démocratie pour endiguer le soulèvement illibéral des masses.

Derrière cette rhétorique autojustificatrice, c’est parce que son programme économique tend à être massivement rejeté que l’État néolibéral s’échine à passer en force.

Sa verticalisation autoritaire est le pendant de son affaiblissement politique. Le signe aurait dit Gramsci d’une crise d’hégémonie avancée.

(Cet extrait de lecture est le dernier consacré au livre de Grégoire Chamayou que je vous conseille d’acheter et de lire. En septembre prochain, je poursuivrai ce travail d’enquête sur l’évolution dans le temps du libéralisme autoritaire.)

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