Le coup d’État, ses préparatifs et le rôle de l’impérialisme. Pour certains observateurs, la victoire de l’Unité populaire sonnait comme le début d’un nouveau cycle en Amérique latine : car à la fin des années 1960, la stratégie du foyer de guérilla (foco) faisait encore figure de substitut au réformisme qui privilégiait la voie électorale.

Dans les différents choix stratégiques d’accès au pouvoir, le Chili rebattait les cartes en renouant avec la mise en place d’une « dualité de pouvoir » : d’un côté le gouvernement légal d’Allende, de l’autre, les organes autonomes du pouvoir populaire. Dans le Chili de 1973, les organes de pouvoir populaire étaient embryonnaires et ne constituaient pas encore une direction politique alternative au gouvernement d’Unité populaire.

Si nous reprenons le fractionnement de la révolution russe, le Chili de 1973 ressemblait plus à février 1917 qu’au mois d’octobre de la même année. Les « soviets chiliens » prenaient le nom de Cordons industriels et Commandos communaux. Ils se développèrent à partir de la fin de l’année 1972.

Auparavant, depuis l’élection d’Allende en 1970 (et jusqu’à la grève menée par l’opposition, le patronat et l’impérialisme en octobre 1972), la participation populaire aux changements en cours était institutionnalisée, c’est-à-dire « impulsée et dirigée par l’État ».

Les « soviets chiliens » surgissent entre octobre 1972 et juin 1973, en grande partie pour défendre, protéger et promouvoir les conquêtes sociales. Le putsch manqué du 29 juin 1973 (le tancazo) sonne comme un lugubre avertissement.

Les cordons industriels font la preuve de leur capacité de mobilisation populaire, mais ils sont dépourvus d’une « organisation permanente démocratique basée sur des délégués élus en assemblée ». Leur coordination est insuffisante, elle dépasse rarement le niveau local. L’été 1973 les cordons industriels sont de fait des embryons de « soviets ».

L’été 1973 est aussi le moment où les relais sociaux, politiques, locaux et internationaux de la future dictature commencent à faire croire que la gauche se prépare militairement à prendre l’initiative d’un coup d’État. Contrairement à ce qui est affirmé dans les éditoriaux d’El Mercurio ou dans le prochain « livre blanc », la thèse d’une armée des Cordons industriels relève du mythe pur et simple.

Le prétexte du coup d’État militaire est l’intention d’Allende d’annoncer le soir même du 11 septembre un plébiscite populaire en vue d’un changement constitutionnel destiné à stabiliser le gouvernement jusqu’aux présidentielles de 1976.

Le coup d’État a fait l’objet d’une préparation minutieusement organisée. À partir de la grève des camionneurs en juillet 1973 (mouvement de petits propriétaires instrumentalisé par l’opposition), les attentats et les sabotages se multiplient chaque jour. Les cordons industriels sont une cible prioritaire.

La loi sur « le contrôle des armes » votée le 20 octobre 1972 avec l’appui de la gauche parlementaire offre à l’armée l’occasion d’enclencher la répression. Une sorte de guerre contre-révolutionnaire s’enclenche. Elle est menée à sens unique contre le pouvoir populaire avant le coup d’État.

Pourtant jusqu’au matin du 11 septembre Allende continue d’avoir confiance dans la loyauté de Pinochet.

Très vite, la terreur d’État s’abat sur les militants de gauche et les dirigeants du mouvement syndical. Non content d’imposer la loi martiale, de fermer le congrès, de suspendre la constitution, d’interdire l’activité de tous les partis politiques, Pinochet donne peu à peu une dimension transnationale à la répression, en coordination avec les autres régimes militaires de la région.

Les USA mettent en place « l’opération Condor ».

Le rôle joué par l’impérialisme américain au Chili est une donnée majeure de la contre-révolution néolibérale. Après avoir pris une forme militaire, elle va prendre une forme politique et économique.

 

Cet article est rédigé à partir d’extraits de lecture d’un livre collectif intitulé « Le choix de la guerre civile » (Une autre histoire du néolibéralisme), ouvrage collectif paru aux éditions LUX en 2021.

Pour ceux et celles qui veulent en savoir plus sur cette séquence politique, je vous conseille les livres de :

  • Régis Debray « Révolution dans la révolution ? Lutte armée et lutte politique en Amérique latine », chez Maspero,
  • Maurice Najman « Le Chili est proche. Révolution et contre-révolution dans le Chili de l’Unité populaire », chez Maspero,
  • Franck Gaudichaud « Chili 1970 / 1973. Mille jours qui ébranlèrent le monde », Presses universitaires de Rennes, 2020.

 

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