La force du libéralisme, c’est de faire croire qu’il peut-être un ascenseur social. Mais les chiffres sont têtus, pour quelques « success story » combien de déçus ?

En introduction à la projection du film « Sans emploi, mais pas sans travail » qui sera diffusé par EVAB le samedi 11 mai 2024 à 18 h à la Cimade, je vous propose une série de portraits de premier et dernier de cordée. Cette fois-ci, nous rencontrons Sylvie.

Sylvie, 55 ans, femme de chambre

Je vis au onzième étage d’un immeuble HLM à Bondy, en Seine-Saint-Denis. Quand la circulation est fluide, je mets une heure pour aller à l’hôtel Ibis des Batignoles.

Je suis femme de chambre depuis huit ans. Un an en CDD, puis j’ai été titularisée. Quand tu n’as qu’un titre de séjour et qu’on te propose du travail, tu prends.

Femme de chambre, c’est un travail comme un autre. Mais c’est un travail dur ; un travail qui abîme le corps. Le matin, quand tu arrives, tu prends ton planning, le bac avec les produits pour les toilettes, la salle de bain et les vitres. Tu prends les chiffons, les balais et tu vas à ton poste (moi c’est le deuxième étage). Là-bas, il y a ton charriot qui t’attend.

Il faut toujours commencer par les « départs », les chambres où les clients sont partis, c’est le plus important. Il faut tirer les lits, les déplacer, tu dois soulever les matelas. C’est lourd. Il faut sortir les sacs-poubelle pour que les équipiers les descendent au sous-sol. Les chambres de recouche c’est plus rapide. Mais comme les clients laissent les bagages, souvent tu t’arrêtes là. Parce que t’as pas le droit d’y toucher. On pourrait t’accuser. Et puis si tu te bloques le dos, après, c’est ton problème.

Quand tu as terminé une chambre, la gouvernante d’étage rentre pour vérifier qu’on n’a rien laissé. Il faut que ça brille. Si tout va bien, elle tape un code pour indiquer à la réception que la chambre est prête.

Mais il faut toujours faire attention. Il y a des clients qui viennent à l’hôtel, on les surnomme « Columbo », ils inspectent tout. S’il y a un petit souci, ils le signalent à la réception. Ils font des scandales pour ne pas payer leur chambre. Les femmes peuvent avoir un avertissement et ça peut aller jusqu’au licenciement.

Une chambre, c’est 17 minutes : avec un contrat de 6 heures, je devrais en avoir 21. Mais souvent j’en ai 40, 50 sur mon planning. Avec des cadences infernales 17 minutes pour ramasser la merde des clients c’est pas possible.

Au final, je sortais souvent à 18 heures au lieu de 14 h 30, payée à la tâche, pas à l’heure.

À la fin de la journée, t’es morte. Il y a les épaules déboîtées, les tendinites, les pieds gonflés. Et tout ça pour 1 000 euros par mois.

C’est pour ça qu’on a eu l’idée de « gréver ». Par rapport à nos conditions de travail. Et puis, il y avait les mutations abusives. Tu vas vers ton travail, on t’appelle en cours de route et on te dit qu’il faut aller ailleurs pour remplacer quelqu’un.

La goutte d’eau qui a débordé, c’est qu’il y avait dans l’hôtel 13 salariées en restriction médicale. Le médecin du travail avait dit qu’il ne fallait pas qu’elles fassent plus de 10 chambres par jour. La direction n’en a pas tenu compte.

Une grève, c’est toujours difficile, c’est jamais au lait et au miel. Ce sont des actions qu’il faut faire, des actes qu’il faut poser. Quand je sortais à 6 heures du matin pour aller faire du bruit et réveiller les clients, mon enfant se réveillait seul. J’ai commencé la grève, il avait 8 ans ; maintenant il en a 10.

Après ces 22 mois de lutte, je retourne au travail avec dignité. Ce que nous sommes allées chercher, on l’a trouvé. La vie peut reprendre.

 

(Cette série de portraits est issue du livre « Le nouveau monde, tableau de la France néolibérale » parut aux éditions Amsterdam en 2021, 1043 pages, 29 euros. Ce texte est un extrait de lecture. Je vous conseille l’achat de cette photographie du « Nouveau monde » capitaliste)

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