« Les agrariens qui , semble-t-il, sont les véritables financiers des Faisceaux en général et, en particulier, de la récente grève, doivent être considérés comme les créateurs inconscients du chômage du fait de leur égoïsme, qui les a amenés à négliger la culture rationnelle des terres et par conséquent, un emploi plus vaste de main-d’œuvre ; n’ayant pas tenu leur engagement de donner la terre aux paysans, ils se sont à présent associés aux syndicats fascistes pour faire pression sur les représentants du gouvernement et obliger celui-ci à remédier à leur lâcheté grâce aux finances publiques ».

Compte rendu du préfet Bladier, muté après l’occupation fasciste de Ferrare

Balayés par les expéditions squadristes, 80 % des conseils municipaux socialistes et catholiques du Nord de l’Italie ont été dissous par l’administration préfectorale, qui s’est substituée à eux. Dans de nombreux cas, les maires socialistes, terrifiés, ont remis eux-mêmes leur démission. Dans la province de Ferrare, les masses rurales ont abandonné en bloc les ligues rouges pour rejoindre les syndicats fascistes. Des centaines de milliers d’ouvriers agricoles socialistes sont devenus fascistes en l’espace d’une année.

Une sorte de miracle eucharistique de transmutation du rouge au noir.

Le 25 avril 1921, le ras de Ferrare, Balbo, est à Milan, où il expose son projet à Mussolini.

L’idée de Balbo est machiavélique : se servir des ouvriers agricoles affamés pour occuper Ferrare et obliger le gouvernement à payer à la place des grands propriétaires terriens. Prouver en plus que les fascistes sont capables de nourrir leurs adeptes.

Donner du travail aux journaliers aux frais de l’Etat, sans toucher aux intérêts des agrariens qui financent les faisceaux. Mussolini voit dans le sourire diabolique de Balbo le passé et l’avenir.

Dès le lendemain Balbo s’attaque à la réalisation de son plan. La mobilisation commence le 11 mai à minuit.

Ferrare se réveille le lendemain matin, envahie par cinquante mille journaliers, émaciés par la faim, durcis par une croûte de poussière, qui ont jeté une couverture sur leurs épaules et garni leur musette de tranches de polenta, qui s’abreuvent aux bouches d’incendie et obéissent aux piquets fascistes.

La campagne s’est déversée dans la ville, la ville est paralysée. Balbo a fait couper les fils téléphoniques, réquisitionné les établissements scolaires pour y établir les cantonnements et ordonné la fermeture de tous les magasins.

La mobilisation jugée impossible est un immense succès.

Le préfet Bladier reçoit l’ultimatum de Balbo : il faut rappeler la police dans les casernes, les fascistes garantiront l’ordre public, les paysans persisterons tant que le gouvernement ne leur aura pas garanti une commande de travaux publics.

Deux jours et deux nuits de tergiversations, négociations, puis à l’aube du 14 mai, la nouvelle tombe : le ministre Riccio a tout accordé. L’Etat a capitulé.

A Milan, Mussolini exulte.

 

( Extraits de lecture du livre d’Antonio Scurati ‘’M’’ l’enfant du siècle aux éditions Les Arènes )

 

Chaque mardi en exclusivité sur EVAB, vous avez rendez-vous avec la série ‘’M’’ qui va vous faire revivre les évènements qui ont fondé le fascisme en Italie, au siècle dernier.

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