Entretien avec Iyad Alastall, le réalisateur palestinien de « Pour l’honneur de Gaza »

par | 19 octobre 2025 | Société

En Vie à Béziers : Iyad Alasttal, merci de nous accorder cet entretien avant votre venue dans l’Hérault pour nous présenter votre documentaire “Pour l’honneur de Gaza”. Mais avant de parler de ce documentaire, pouvez-vous présenter à nos lectrices et lecteurs.

Iyad Alasttal: Je m’appelle Iyad Alasttal, palestinien originaire de Gaza. J’ai fait des études de cinéma ainsi que des étude de FLE (Français Langue Étrangère) à Gaza. C’est pour cela que je parle le français. Quand je faisais mes études de cinéma, l’objectif était d’utiliser cette discipline pour pouvoir m’exprimer, pour pouvoir parler de la société palestinienne à travers des films documentaires. Et en même temps, c’était ma passion depuis l’enfance. Et du coup, je me suis concentré sur ce projet, faire des films. J’ai réalisé plusieurs documentaires qui ont obtenu des prix à l’international et dans la région méditerranéenne. Mon premier documentaire, à Ajaccio en 2013 ( « Donne un poisson à un homme ») et « A female bus driver » en 2016. Et puis, j’ai fait d’autres films à Gaza dont un qui s’appelle “Gaza balle au pied” en 2020, où j’ai accompagné une équipe de footballeurs de Gaza pour jouer contre l’équipe de France pour les personnes handicapés. J’ai ensuite entamé également mon projet Gaza Stories en 2019. C’était pour montrer Gaza autrement, parce que malheureusement, on parle toujours de la Palestine et de Gaza quand il y a des événements tragiques, le blocus, l’occupation. Ok, c’est une réalité quand on vit à Gaza, mais en même temps il y a  la vie quotidienne, dont on ne  parle jamais. Pour cela, j’ai choisi ma propre méthode pour parler de Gaza autrement. Je me suis plus concentré sur la société civile à  Gaza, sur les artistes, sur les femmes, sur les sportifs, sur le patrimoine, etc., pour donner une autre vision, le côté positif de Gaza qui est malheureusement enterré. Tout ce travail, je l’ai fait  avant les événements et l’agression israélienne  d’octobre 2023. Mais, depuis le mois d’octobre 2023, j’ai décidé de parler aussi des déplacés, sous les tentes, de leur vie quotidienne, comment ils font, sous les bombardements, pour se déplacer, avec toute cette situation de désespoirs et j’ai pu réaliser 35 épisodes sur des personnages que j’ai connus, que j’ai filmé avant la guerre et que je suis retourné voir pendant la guerre. Et en même temps, j’ai réalisé le film “Pour l’honneur de Gaza” pour décrire cette vie difficile, que les palestiniens traversent depuis deux ans, et c’est comme ça, que j’essaie de faire parler et de défendre la justesse de la cause palestinienne.

EVAB : Quand on parle de la guerre en général et de Gaza en particulier, on montre des morts et des cadavres. Dans votre film “Pour l’honneur de Gaza”, vous avez voulu surtout parler des vivants et parler de leur quotidien. Vous avez parlé de vie à Gaza, ne pourrait-on pas plutôt parler de survie depuis quelques années ?

Iyad Alasttal : Oui, c’est ça, en fait. Il y a tellement d’images qui circulent depuis le début de cette guerre sur les corps déchiquetés, la destruction et la situation de misère à Gaza. Je ne veux pas dire que j’ai évité d’en parler, mais en fait, il y a les  médias, qui font ce travail, les télévisions, les radios, les journaux qui se concentrent sur cet aspect politique.

Donc, ils interrogent les responsables politiques pour diffuser des témoignages, pour faire des analyses politiques. Moi, j’ai pris une autre voie, celle  d’aller vers les gens, les gens qui ont toujours payé le prix dans les conflits, dans les guerres, les gens qui sont la première cible de l’armée israélienne. Et donc, je suis allé au devant de ces gens pour voir leur résilience, leur vie quotidienne, leur vécu, parce que je crois beaucoup à la parole des citoyens, des civils, plus que tous les discours politiques. C’est pour cela que j’ai filmé ces gens pour montrer leur survie et leur quotidien. Cela m’apparaît comme très très important. En même temps, quand on parle des Palestiniens, on compte toujours et on considère les palestiniens comme des chiffres. Donc, chaque jour, dont les JT, les actualités, les news, ils annoncent  50 morts, 20 morts, je ne sais  pas combien d’humiliés par exemple, de blessés, mais on n’a jamais parlé des visages de ces gens-là. Et moi, j’essaie un peu d’humaniser les palestiniens  qu’on a déshumanisé depuis longtemps. Je montre donc les visages, les témoignages, les récits, et leur donner la parole pour qu’ils s’expriment.

EVAB : Vous montrez surtout que ces gens rêvent, ont des désirs, même de l’humour et aussi du talent d’ailleurs

Iyad Alasttal : Les Palestiniens sont des gens normaux, comme le reste du monde. Ils ont des projets, des rêves, des espoirs, des désirs. Mais malheureusement, tous ces aspects, on n’en parle pas quand on lit un article dans un journal, quand on regarde un reportage à la télévision. Et donc, ça me donne plus de place d’aller vers ces gens pour parler de leur projet, leur histoire, leur vie, leur vécu, leurs souvenirs. Ce sont des gens qui méritent d’être entendus. Et comme vous le savez aucun média étranger n’a plus accès à Gaza. C’était un peu ma façon, ma volonté, de donner à ces gens déshumanisés la parole pour qu’ils s’expriment et l’espace pour pouvoir transmettre leur message et leur quotidien.

EVAB : Vous parlez de l’esprit du peuple de Gaza. C’est quoi? C’est le mot honneur dans le titre du film ?

Iyad Alasttal : Bien sûr, l’honneur, parce que, quand on parle aujourd’hui de l’honneur de Gaza, on pense aux Palestiniens qui méritent l’honneur et ce mot est toujours lié pour moi à l’humanité. Et quand on voit ce qui se passe à Gaza depuis deux ans, on constate que toute l’humanité est en danger, parce que là, on bafoue, malheureusement, tout le droit international et toutes les lois, on massacre les enfants et les femmes, on déplace des civils pacifiques. Et c’est pour cela  que j’ai choisi ce titre “Pour l’honneur  de Gaza » parce que c’est la dignité de Gaza.

EVAB : Malgré tout, malgré ces rêves, ces sourires, ces personnages, la mort et la souffrance rôdent en permanence. Elles sont toujours présentes ?

Iyad Alasttal : En fait, c’est vrai que dans mon film, il y a aucune image d’horreur. Il n’y a pas un seul mot de haine , Il n’y a pas de vengeance, il n’y a pas de corps déchiquetés, il n’y a pas de bombardements. Il n’y a que des messages d’espoir, il n’y a que des visages, des yeux qui regardent la caméra. Et donc, derrière, à chaque plan, à chaque phrase prononcée ou chaque témoignage de tous  ces personnages, qu’ils soient artistes, femmes, enfants, personnes âgées, il y a une énorme tragédie. Et ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de scènes d’horreur, de corps déchiquetés qu’il n’y a pas de taches de sang dans le film, qu’on ne parle pas de la souffrance de Gaza. J’ai choisi ce langage pour pouvoir toucher le maximum de spectateurs ici en Europe.

EVAB : Alors, on ne peut pas aujourd’hui faire fi de la situation et de l’actualité, en Palestine. Le plan de paix américain est en train de se  mettre en place. Vous y croyez?

Iyad Alasttal : Moi, je trouve important que cette souffrance s’arrête, qu’importe à quel prix ou à quel plan de paix. L’essentiel, c’est qu’aujourd’hui, il y a plus de 75 000 morts, sans parler des disparus, sans parler aussi de ceux qui sont morts à cause du manque de soins et à cause de la famine. La souffrance et la tragédie doivent s’arrêter, à un moment donné. Et ce qui compte pour moi en tant que palestinien, comme artiste, c’est que cette souffrance cesse, le plus vite possible. Ils ont annoncé il y a deux jours une signature de cessez le feu. Je ne sais pas si ça va tenir. Le peuple est fatigué. Il faut donner à ce peuple un impérieux moment de respiration. Pour moi, la souffrance n’a pas commencé juste il y a deux ans, la souffrance date depuis des années et des années, depuis plus de 70 ans. Donc il est temps maintenant, après toutes ces mobilisations, à tous les niveaux, politiques, populaires, culturels, de passer aux actes, rendre la justice aux Palestiniens et appliquer le droit international. L’essentiel,  c’est d’arrêter ce massacre, imposer et préparer le terrain pour que ce cessez le feu tienne.

EVAB : On parle beaucoup dans l’actualité aussi d’une solution à deux États, un État Palestinien, un État israélien. C’est une solution qui vous semble viable et possible, aujourd’hui, en se demandant quel serait réellement le territoire de cet État palestinien?

Iyad Alasttal : Moi, je n’ai jamais perdu espoir. Il faut toujours garder l’espoir, il faut avoir la bonne volonté mais aussi que la volonté internationale s’impose de tous les côtés, pour donner leurs droits aux palestiniens et notamment l’indépendance du peuple palestinien.

EVAB : Notre association s’appelle “En Vie à Béziers” pour montrer que malgré la prise de pouvoir de Robert Ménard sur la ville, il n’a pas tué toutes les initiatives citoyennes et tous les combats pour la justice et la liberté. Votre film, pourrait s’appeler en écho “En Vie à Gaza”. Car, et vous le montrez dans votre documentaire, Gaza est toujours en vie !

Iyad Alasttal : Le film, c’est vrai montre que Gaza est en vie. Donc pour moi, c’est une œuvre qui permettra de mieux comprendre la situation des Palestiniens. Il est adapté à toutes les générations et à toutes les sociétés. Il n’y a aucun mot de haine, de violence, de vengeance, il n’y a que des messages d’espoir.  Donc voilà, j’espère que cet “En Vie” de palestinien sera transmise à partir de ce film, qu’on puisse le voir partout dans le monde et dans toutes les régions de France.

EVAB : Iyad Alasttal, merci pour cet entretien. Je rappelle que vous êtes dans l’Hérault depuis ce vendredi 17 octobre. Vous serez cette semaine à Pézenas, à Millau, à Béziers et pour finir à Clermont l’Hérault. Toutes les dates et les lieux sur notre site.

Iyad Alasttal  : C’est un grand plaisir pour moi de pouvoir accompagner ce film et participer aux débats qui suivront sa projection et répondre à toutes les questions de mode de tournage et de l’importance de ce film. J’ai donc hâte de vous rencontrer toutes et tous dans ces différentes villes dans le Sud. Merci encore à vous et bonne journée à vous.

Dates et lieux de la tournée..

                * lundi 20 octobre à 20h  au cinéma Molière 1 place Ledru Rollin à Pézenas

              * mardi 21 à 20h « Les cinémas »15 rue de la Condamine 12100 Millau

              * mercredi  22 octobre  à 18h à  la Cimade 14, rue de la Rotonde Béziers 

              * jeudi  23 octobre à 20h30 au cinéma Alain Resnais, rue Roger Salasc  à Clermont l’Hérault 

Liens utiles :

Voici ce lien sur Gaza Stories avant la guerre, 

https://www.youtube.com/@GazaStories/videos

Et c’est le lien de trailer du film, 

https://www.youtube.com/watch?v=sdwRZ21CK_w

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