Pauline Scherer est sociologue intervenante. Elle a bien voulu répondre à nos questions suite à "En Vie à Béziers, l'émission"  diffusée sur Radio Pays d'Hérault et consacrée aux associations humanitaires en difficulté.

Robert Martin : Pauline Scherer, Bonjour, Vous travaillez à Montpellier dans une association qui s'appelle  "Vrac et Cocinas". Vous avez monté avec tout un collectif une expérimentation qui s'appelle la "Caisse Alimentaire Commune". Votre regard est donc doublement intéressant. Le Secours Populaire vient de publier son baromètre de la précarité et de la pauvreté après que les Restos du Cœur aient lancé un appel d'urgence au début de ce mois de septembre. Nous les avons reçu dans "En Vie à Béziers, l'émission" (à écouter ICI). Ils ont fait le bilan accablant de leur situation et de leurs difficultés. Cette augmentation de la pauvreté et de la précarité nous dit quoi de la société dans laquelle on vit ?

Pauline Scherer : Cela signifie que les inégalités sociales se creusent de plus en plus et qu'aujourd'hui avec les petits salaires et les minima sociaux, on n'arrive pas à vivre  de manière digne. Vu que les charges contraintes ou programmées que sont le loyer, le chauffage, l'électricité, etc..  augmentent, on a une part du budget réservé à l'alimentation qui diminue. D'où le fait que les gens recourent à cette aide alimentaire car c'est la seule chose qu'ils peuvent activer pour pallier à ce manque de budget alimentaire. Les revenus des personnes ne suffisent plus !

RM : Les deux associations nous ont dit que sociologiquement ils ont vu se modifier, année après année, le type de gens qui venaient se nourrir chez eux. On est passé des SDF aux salariés pauvres.

PS : Exactement ! Cela montre bien la précarisation et les problématiques auxquelles on est confronté. L'aide alimentaire est historiquement une aide d'urgence, dédiée aux plus marginaux, ceux qui sont les grands exclus de la société. Au fil du temps, on voit bien que c'est une aide qui s'est institutionnalisée, qui est devenue une aide parmi les autres et donc cela pose beaucoup de questions.  Dans un pays comme la France, 7ème puissance économique mondiale, on accepte que cette question de l'alimentation soit la variable d'ajustement des ménages, qu'elle soit reléguée au second plan. On fait comme on peut avec l'alimentation alors qu'on sait que c'est un enjeu majeur pour la santé des personnes, pour l'environnement également aujourd'hui et puis l'alimentation c'est notre histoire, c'est notre culture, c'est le rapport à notre corps. Ce n'est pas du tout un détail de la vie, de nos vies d'êtres humains

RM : Quand les associations parlent de leur travail, elles disent que ce n'est pas que la nourriture qui manque, les besoins des êtres humains et leur dignité vont au delà  de l'alimentation.

PS : Absolument parce que c'est tout l'enjeu de l'existence des associations en particulier d'aides alimentaires et de la nécessité de conserver du lien, du lien social. On a énormément de personnes qui sont aussi extrêmement seules et cela a un impact sur l'alimentation parce que, quand on est seul, généralement on se fait beaucoup moins à manger  et on ne cuisine pas. On a un modèle alimentaire en France vraiment basé le repas pris en commun, le repas partagé avec d'autres. Effectivement,  l'alimentation n'est pas le seul problème, on pourrait parler du logement et de biens d'autres choses, de ce fameux lien social et de cet isolement. Par contre, il est vrai que le dispositif d'aide alimentaire en lui-même, est basé sur cette idée qu'on va redistribuer les invendus, qu'on va permettre à des industries alimentaires et à la grande distribution de défiscaliser leurs dons. Au final, on n'a pas non plus des résultats incroyables sur la baisse de la précarité alimentaire, bien au contraire. C'est vrai que les travaux qu'on mène, s'oriente  plutôt vers l'invitation à poser les questions autrement : comment on peut garantir l'accès de tous et toutes à une alimentation et qui plus est à une alimentation de qualité plutôt que de pallier à des manques de plus en plus criants.

RM : C'est quand même la responsabilité de l'État de nourrir sa population. On a l'impression que l'État a sous-traité aux associations humanitaires cette responsabilité régalienne.

PS : C'est quelque part sous-traité absolument ! Au tout début de l'histoire, on avait des restaurants publics, mais qui ont vite été remplacés par   des associations caritatives plutôt religieuses au départ. Ensuite sont arrivées de plus grandes organisations comme les Restos du Cœur ou les Banques Alimentaires qui ne font pas le même travail mais qui sont complémentaires. La critique qu'on peut faire du système, c'est que finalement ils sont complètement reliés à ce système alimentaire industriel qui surproduit, qui a de forts impacts négatifs sur l'environnement. Tout cela est pris dans un ensemble de système qui fait qu'on est dans une alimentation qui aujourd'hui n'est pas choisie. Le travail qu'on a entrepris c'est aussi de savoir comment on refait de l'alimentation un sujet de démocratie, sur lequel les citoyennes et les citoyens  peuvent avoir du pouvoir, s'exprimer et interpeller l'Etat mais aussi toute la société : comment on se nourrit, comment on se nourrira demain, quelle alimentation on veut, comment on veut qu'elle soit produite. Il est important de refaire un sujet démocratique autour de l'alimentation parce qu'aujourd'hui, on fait 70% de nos courses au supermarché. Le système alimentaire est monopolisé par des groupes alimentaires industriels très puissants et finalement, on subit notre système alimentaire. Pourtant on est toutes et tous concernés !

RM : Les questions que vous posez, je n'ai pas l'impression que ce soient celles que se pose Elisabeth Borne dans son plan contre la précarité et la pauvreté. Elle se préoccupe moins que vous des causes de cette situation.

PS : Et c'est là où il y a une sonnette d'alarme importante. On dit que les Restos du Cœur sont en difficulté comme les autres associations d'ailleurs donc on donne des chèques, on distribue des aides. Mais que fera-t-on l'année prochaine quand les mêmes difficultés sont se représenter, quand peut-être le nombre de personnes recourant à l'aide alimentaire va augmenter ? Nous sommes, nous, sur un questionnement sur la racine du problème et sur comment remettre un point d'intérêt là-dessus et notamment quelque chose qui soit plus partagé et plus démocratique avec les citoyennes et les citoyens plutôt que ce pansement qui ne va pas tenir longtemps. D'ailleurs, il faut savoir  qu'il y a beaucoup plus de personnes qui se trouvent en situation de précarité alimentaire que de nombre de personnes qui vont à l'aide alimentaire. Il y a tout un tas de personnes qui sont en précarité alimentaire et qui ne vont pas dans les associations. C'est un problème encore plus vaste que celui des associations d'aides alimentaires.

RM :  Coluche disait "Y'a trois millions de personnes qui veulent du travail ?" C'est pas vrai : de l'argent leur suffirait." Pour Elisabeth Borne, il n'est pourtant pas question d'augmenter les minima sociaux ! On a quand même un problème de revenus en France ?

PS : Il y a un problème de revenus face au coût de la vie. C'est vrai que l'inflation des prix sur les produits alimentaires a été un peu le coup de grâce mais ce n'est pas nouveau ! Un problème de revenus, certes mais surtout un problème d'inégalités entre les plus hauts et les plus bas revenus sans parler du problème de justice fiscale.

RM :  Le travail est-il la solution comme nous l'assène cette marotte ultralibérale qui ne voit dans les populations pauvres que feignants et assistés ?

PS : Quand on connait les situations de vie des gens qui subissent cette précarité, on voit que ce sont des gens plutôt courageux justement, qui élaborent les stratégies qu'ils peuvent pour essayer de s'en sortir. Il y a vraiment un décalage important entre le discours qu'on entend et les réalités qu'on voit.

RM :  Les associations veulent rendre leur dignité aux gens et franchement ce n'est pas ce que fait ce gouvernement.

PS : La dignité, c'est aussi de pouvoir  effectivement  ne pas avoir en permanence besoin de  recourir à l'aide alimentaire. C'est là qu'il faut qu'on s'interroge tous aussi collectivement. Comment on peut défendre les uns et les autres un changement profond de systèmes et de réponses à ces enjeux-là. Le terme  dignité, on peut y mettre ce qu'on veut mais c'est fondamental. Il y a cet enjeu de redistribution matérielle pour que chacun puisse vivre dans de bonnes conditions et puis la dignité c'est aussi cet enjeu de reconnaissance sociale. Quand on est un travailleur  ou qu'on touche les minima sociaux pour différentes raisons et qu'on a besoin  d'aller chercher une aide alimentaire ou un colis d'urgence, on ne se sent pas appartenir à cette société, on ne se sent pas vraiment reconnu comme un citoyen à part entière. Tout cela appelle à des mesures beaucoup plus ambitieuses. C'est pour cela qu'on travaille autour de l'idée de sécurité sociale de l'alimentation en expérimentation à Montpellier.

Pour information, 

ASSEMBLÉE CITOYENNE DE L'ALIMENTATION -
SAMEDI 30 SEPTEMBRE à Montpellier

 

Liens utiles

https://montpellier.vrac-asso.org/

https://tav-montpellier.xyz/





 

 

 

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