« Les timides et les hésitants devraient être prévenus : celui qui n’est pas avec nous est contre nous et sera traité en ennemi ».

Général Mola, 20 juin 1936, cinquième instruction secrète préparatoire au putsch militaire

Une fois leur base marocaine conquise, les rebelles se tournent vers leur objectif suivant : Cadix, port essentiel ou l’Armée d’Afrique débarquera. L’Andalousie est une région profondément ancrée à gauche avec une forte tradition anarchiste. Le débarquement promet d’être violent il va l’être au-delà de toute limite.

Dans les jours qui suivent la prise de Cadix, le 18 juillet 1936, le gouverneur civil, le président de l’assemblée provinciale et de nombreux officiers qui ont refusé de participer au soulèvement sont fusillés. Pour « nettoyer » la ville, les rebelles ferment l’étroite bande de terre qui relie Cadix au reste de l’Espagne. Des groupes de phalangistes, de gardes civils et de regulares fouillent et pillent les maisons. Libéraux et républicains, francs-maçons et syndicalistes sont arrêtés en masse. Un « Tribunal du sang » est établi, il choisit chaque jour 25 détenus à exécuter. Plus de 600 seront fusillés au cours des 5 mois suivants, plus de 1000 au cours de la guerre, 300 autres entre la fin de la guerre et 1945. Dans la province, les rebelles ont exécuté 3071 personnes.

Tandis que les diverses forces paramilitaires purgent la province de Cadix, un processus similaire se déroule à Séville. Loin d’être un acte d’héroïsme spontané, le coup d’État a été méticuleusement préparé. Le général Queipo de Llano sait qu’il aura à faire face à une forte résistance il attaque la ville avec 4000 hommes. Après un bombardement d’artillerie, les rebelles s’emparent du central téléphonique, de l’hôtel de ville et du siège du gouvernement civil ; ils bloquent les principaux accès au centre-ville et imposent une terreur aveugle. Ils se livrent aussitôt à une répression sanglante dans les quartiers ouvriers de Triana, La Macarena, San Julian et San Marcos.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           Malgré le bombardement d’artillerie, ces quartiers résistent obstinément. Utilisant les femmes et les enfants comme boucliers humains, les forces de Queipo finissent par y pénétrer. La répression est impitoyable. Hommes, femmes et enfants sont passés au fil de l’épée. Les graffitis pro-républicains et antifascistes doivent être effacés des murs. Si le nettoyage n’est pas accompli en moins de dix minutes, les habitants des maisons portant encore des slogans seront fusillés. Le 22 juillet, 4 jours après l’assaut initial, pour son assaut final contre La Macarena, Queipo utilise des avions pour bombarder et mitrailler le quartier. Le 23 juillet un édit proclame que tous les meneurs de grève seront abattus avec un nombre égal de grévistes choisis par les autorités militaires. Quand des leaders ouvriers restent introuvables, des membres de leur famille sont pris comme otages.

Le 29 juillet, quand les forces de la légion prennent Huelva après une brève résistance, 400 habitants sont faits prisonniers. Les exécutions commencent aussitôt. Une fois Huelva aux mains des rebelles, le processus est le même qu’à Cadix et Séville : des colonnes sont envoyées pour « nettoyer » le reste de la province. Il est bon de rappeler que le nombre total de franquistes assassinés dans la province de Huelva entre le 18 juillet et le moment où les rebelles la maîtrise complètement est de 44 personnes réparties sur 9 villes. 101 autres sont mortes lors d’affrontements armés avec les défenseurs de la république. La répression qui suit est à une tout autre échelle ; dans 75 des 78 villes de la province 6019 personnes au total sont exécutées.

Cordoue tombe en quelques heures entre les mains du commandant militaire de la ville. La ville étant isolée au sein d’une province restée loyale à la République, un groupe de phalangistes part chercher des armes à Séville. Queipo demande combien d’hommes ont été fusillés à Cordoue. La réponse étant « aucun », Queipo tonne, indigné : « Eh bien, tant que vous n’en aurez pas abattu quelques centaines, il n’y aura plus d’armes pour vous ! ». En quelques jours, au plus chaud de l’été, le nombre de fusillades et de cadavres laissés dans la rue entraîne une épidémie de typhus. Selon les calculs plus de 11 500 personnes sont tuées dans la province de Cordoue entre 1936 et 1945.

Les évènements à Grenade diffèrent nettement. Le commandant militaire, le général Campins, est arrivé à Grenade le 11 juillet soit quelques jours avant le putsch. Il n’a pas participé au complot. Le 14 août, Campins est jugé pour « rébellion » puis abattu deux jours plus tard. Pendant ce temps, le principal centre de résistance, le quartier ouvrier de l’Albaicin est contraint de se rendre après des attaques d’artillerie et des bombardements. De nombreux médecins, avocats, écrivains, artistes, enseignants et surtout ouvriers sont assassinés par les phalangistes. Au cours de la guerre, plus de 5000 civils sont abattus à Grenade, souvent dans le cimetière. Une des victimes les plus illustres est le poète Federico Garcia Lorca. Il considérait la reconquête catholique de la Grenade mauresque en 1492 comme un désastre. Lorca est abattu à 4 h 45, le 18 août 1936, entre Alfacar et Viznar, au nord-est de Grenade. Le lendemain de la mort du poète, un de ses assassins, Trescastro entre dans un bar et déclare : « On vient de tuer Federico Garcia Lorca. Je lui ai mis deux balles dans le cul parce que c’était une pédale ».

La Malaga républicaine est bombardée par des raids intensifs de l’aviation italienne et par la flotte rebelle, la ville tombe le 8 février 1937. Pendant une semaine les civils n’ont pas le droit d’entrer dans la ville où des centaines de républicains sont fusillés à la suite de dénonciations. Queipo procède à des milliers d’arrestations. Les prisons étant surchargées, il faut ouvrir des camps de concentration à Torremolinos, Alhaurin el Grande. L’ampleur de la répression est révélée par le rapport de Bohorquez en avril 1937. Dans les 7 semaines ayant suivi la prise de Malaga, 3401 personnes ont été jugées, 1574 exécutées. Des dizaines de milliers de réfugiés se sont enfuis par la seule issue possible, les 175 kilomètres longeant la côte jusqu’à Almeria. Leur fuite spontanée n’a joui d’aucune protection militaire. Ils ont été bombardés depuis la mer par les canons des navires de guerre Cervera et Baléares et depuis le ciel par l’aviation italienne. Selon les calculs, il y avait alors plus de 100 000 personnes sur la route. Leur arrivée a plongé Almeria dans l’horreur et la confusion. Un bombardement aérien a visé délibérément un centre-ville rempli de réfugiés.                                                                                                                     

Bombarder une population civile sur la route et dans les rues, c’est ce que les rebelles entendent réellement par le mot « libération ».

Pour réaliser ce travail de mémoire sur la réalité de la reconquête franquiste, je vous propose des extraits de lecture de l’excellent livre de Paul Preston « Une guerre d’extermination, Espagne 1936-1945 » paru en livre de poche aux éditions Texto en 2019.

Ces extraits seront mis en ligne en exclusivité sur le site d’EVAB chaque semaine, le lundi

 

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies nous permettant par exemple de réaliser des statistiques de visites.