La force du libéralisme, c’est de faire croire qu’il peut-être un ascenseur social. Mais les chiffres sont têtus, pour quelques « success stories » combien de déçus ?

En introduction à la projection du film « Sans emploi, mais pas sans travail » qui sera diffusé par EVAB le samedi 11 mai 2024 à 18 h 00 à la Cimade, je vous propose une série de portraits de premier et dernier de cordée. Cette fois-ci, nous rencontrons Agathe.

Agathe, 38 ans, éducatrice Montessori pour des 3 / 6 ans

La traduction est un métier trop solitaire pour moi et très peu de personnes arrivent à percer dans le milieu littéraire. La plupart de temps, si tu veux en vivre, il faut traduire des textes techniques comme des notices d’aspirateurs.

Quand je m’en suis rendu compte, je me suis réorientée et je suis entrée dans un cabinet de conseil.

Olivier Wyman fait entre autres du conseil auprès des institutions financières internationales ( des banques, des assurances, des fonds ), moi je m’occupais du recrutement des jeunes consultants, des juniors.

J’organisais des évènements dans les grandes écoles de commerce ou d’ingénieurs, des écoles très ciblées, très élitistes. Il fallait se faire connaître des étudiants, on ramassait des CV.

Professionnellement, ça m’a beaucoup apporté. Mais tu travailles beaucoup, comme une dingue, et c’est très exigeant. Au début, je gagnais 27 000 euros brut annuels ; à la fin après 8 ans dans l’entreprise, j’ai terminé à 48 000 euros brut annuels, avec des variables. Ça fait un beau « package ».

Je suis partie en 2016, j’en avais assez de ce milieu. Je me suis renseignée sur le concours pour devenir instit’ et sur le Capes d’anglais, mais ce que j’entre’apercevais du fonctionnement de l’Éducation nationale ne me donnait pas envie d’y aller.

Finalement, j’ai rejoint le cabinet d’audit et de conseil Ernst & Young. Cette entreprise, c’est une machine de guerre, située dans une grosse tour à la Défense.

Là-bas, je m’occupais du recrutement. Par rapport aux consultants, j’avais l’impression d’être plus proche de la vraie vie, mais j’ai pas fait un gros « gap » de salaire. Je suis arrivée à 50 000 euros brut annuels et je suis repartie à 51 – 52.

Au bout de trois ans, j’ai arrêté : difficile d’avoir une vocation dans ces entreprises-là.

À ce moment-là, mon compagnon avait déjà quitté son job. Jusqu’alors, il travaillait dans la finance comme gérant de fonds. Ses clients principaux étaient des mutuelles, il gagnait très bien sa vie ( 100 000 euros brut par an ). Mais il a choisi de devenir éducateur Montessori en école primaire.

Quand il a terminé sa formation de 2 ans, je me suis lancée moi aussi, pour une formation d’un an.

Dans la promotion, on était 38 ( 37 femmes et 1 homme ), dont beaucoup venaient de l’entreprise. La plupart avaient entre 35 et 40 ans, d’une génération où on accepte moins bien le monde de l’entreprise. Souvent, ce sont des personnes qui venaient d’avoir des enfants et qui réalisaient que la vie est ailleurs.

J’ai beaucoup lu sur Maria Montessori, sa vie, son œuvre, ses théories. J’ai appris à utiliser le matériel Montessori, mais surtout à comprendre le développement naturel de l’enfant.

Au total, cette année de formation m’a coûté 10 000 euros.

Aujourd’hui, je travaille aux Petites Canailles de Neuilly, une école Montessori montée par un réseau de crèches privées.

Les parents des enfants scolarisés sont d’un milieu favorisé ; la scolarité coûte en moyenne 10 000 euros par enfant.

Je gagne 2 100 euros brut par mois, ce qui est assez élevé pour un « éducateur » débutant.

Nos deux enfants sont déjà scolarisés en école Montessori, mais, à terme, on aimerait ouvrir notre propre école avec mon compagnon. Pour ça, il faut une expérience de 5 ans minimum.

Ça demande aussi d’accepter de sortir du côté éducatif, de mettre ta casquette « business » parce qu’en réalité, tu ouvres une entreprise.

( Cette série de portraits est issue du livre « Le nouveau Monde, tableau de la France néolibérale » paru aux éditions Amsterdam en 2021, 1043 pages, 29 euros. Ce texte est un extrait de lecture. Je vous conseille l’achat de cette photographie du « Nouveau Monde » capitaliste )