L'extrême droite s’ancre en France scrutin après scrutin et pourrait faire encore un score historique à la prochaine élection présidentielle.  Face à cette perspective, il est plus que jamais nécessaire de rappeler l’histoire nauséabonde de l' extrême droite française, pour comprendre d'où elle vient et où elle veut nous conduire.

Cette histoire pleine de bruit et de fureur a commencé avec la Révolution de 1789, sur les bancs de l’Assemblée constituante, en même temps qu’est né le clivage gauche-droite. À gauche du président de l’Assemblée s’étaient rassemblés les députés favorables à une sérieuse limitation des pouvoirs du roi, tandis qu’à droite siégeaient ceux qui souhaitaient que son autorité soit maintenue. Quelque deux cents individus se sont placés le plus à droite de la chambre : ils exigeaient que le roi redevienne le monarque absolu qu’il était naguère. Ceux-là vomissaient les profondes avancées sociales et politiques qui venaient d’être décidées : l’abolition des privilèges et des droits féodaux lors de la nuit du 4 août, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen trois semaines plus tard…

Alors que la formule « Ancien Régime » commençait à être employée, les députés d’extrême droite rêvaient du rétablissement de cet ordre ancien, fondé sur l’inégalité juridique, le respect des hiérarchies et la toute-puissance de l’Église catholique. On les appelait les « Aristocrates », en raison de leur origine sociale dominante, ou bien les « Noirs », en référence à la cocarde noire, choisie par opposition à la cocarde tricolore des révolutionnaires. Ils allaient jusqu'à s’opposer catégoriquement à l’émancipation des Juifs et des esclaves noirs. Pour certains de ces pionniers de l’extrême droite, la Révolution française est le résultat d’un complot fomenté par les francs-maçons, les protestants et les philosophes des Lumières ; pour d’autres, elle est l’expression de la colère de Dieu qui s’est abattue sur un royaume peuplé de pécheurs.

Cette extrême droite naissante est donc réactionnaire, profondément nostalgique d’un monde disparu, d’un prétendu âge d’or où les braves sujets du royaume étaient censés aimer tendrement leur bon roi. Elle s’emploie ainsi à tout mettre en œuvre pour balayer la Révolution et à en écraser les principes de liberté et d’égalité. Mise sous l’éteignoir durant la dictature napoléonienne, l’extrême droite ultra-royaliste et ultra-catholique triomphe à peine Napoléon abdique, le 2 avril 1814. Des dizaines de milliers d’émigrés en profitent pour rentrer à la maison. Parmi eux, le nouveau roi de France, Louis XVIII, et son petit frère, le comte d’Artois. Ce dernier rassemble autour de lui les pires réactionnaires de l’époque : pour la plupart, des nobles et des prêtres qui n’ont qu’un seul désir, purger la France des valeurs révolutionnaires et restaurer la monarchie absolue et la société des privilèges. Ces extrémistes de droite prennent vite le nom d’« ultras », c’est-à-dire d’« ultra-royalistes », qui sont en quelque sorte « plus royalistes que le roi ». L’esprit de vengeance s’abat sur les bonapartistes, mais aussi sur les républicains : c’est la Terreur blanche. Il faut dire que la Chambre des députés compte une écrasante majorité de députés ultras, élus notamment grâce à un suffrage très restreint, puisque seuls les 100 000 Français les plus imposés ont alors le droit de vote. Pendant une année, les ultras au pouvoir instaurent une véritable Terreur légale : loi d’épuration judiciaire et administrative, loi de sûreté générale suspendant la liberté individuelle, exil des « régicides », c’est-à-dire des députés ayant voté la mort de Louis XVI en 1793.

L’ultracisme royaliste est intimement lié au catholicisme, c’est même un « parti-prêtre », disent ses adversaires, un mouvement qui n’a de cesse que de renouer avec la séculaire « alliance du trône et de l’autel ». Le comte d’Artois est ainsi un bigot patenté. Les plus fameux théoriciens ultras ne conçoivent pas la société indépendamment de Dieu. Quand le vieux Louis XVIII finit de mourir sur son trône en 1824, les ultras triomphent : leur champion, le comte d’Artois, devient roi sous le nom de Charles X et se donne pour mission d’abroger les « lois impies de la Révolution ». Comme un monarque d’Ancien Régime, Charles X est sacré roi en 1825 dans la cathédrale de Reims, pour mieux signifier l’origine prétendue divine de son autorité. La même année, les ultras adoptent la loi du sacrilège, qui punit de mort le vol de tout objet du culte. Ils font également placer l’enseignement sous la tutelle exclusive de l’Église, laquelle tisse sa toile sur tout le territoire à travers des processions, des cérémonies expiatoires à la mémoire de Louis XVI.

Cette déferlante réactionnaire ne prend fin que grâce à la Révolution de 1830 qui chasse du pouvoir Charles X et l’extrême droite. Exilés ou plus souvent retranchés dans leurs propriétés rurales durant la monarchie de Juillet (1830-1848), les ultras se font désormais appeler " légitimistes" et restent des éternels nostalgiques de l’ordre ancien ! L’extrême droite est-elle donc morte en 1848 ?

Pendant la vingtaine d’années que dure le Second Empire, l’extrême droite légitimiste, qui rêve de briser la Révolution de 1789, est en sommeil, étouffée par une implacable dictature policière. C’est la défaite contre la Prusse, en 1871, qui lui permet de se réveiller avec fracas : des élections législatives ont été organisées en février, et elles sont une divine surprise pour les légitimistes, qui obtiennent près de 200 sièges. À l’extrême droite de cette droite extrême, se distinguent environ 80 députés, appelés les « chevau-légers ». Issus majoritairement de la vieille noblesse de l’Ancien Régime, ils sont déterminés à rétablir une monarchie chrétienne. La volonté de revanche des catholiques les plus réactionnaires aboutit à la mise en place d’une politique d’« Ordre moral », selon les termes du président de la République, le maréchal Mac Mahon, qui en appelle à « l’aide de Dieu ». L’Ordre moral se définit d’abord par une politique ultrareligieuse, symbolisée par l’édification de la basilique du Sacré-Cœur à Montmartre, visant à « effacer les crimes » de la Commune de Paris écrasée deux ans plus tôt, mais aussi par de nombreux pèlerinages à Lourdes ou au Mont-Saint-Michel. L’espoir d’un rétablissement de la royauté ne s’efface que très progressivement, à mesure que les républicains gagnent du terrain aux différents scrutins qui suivent et que les « chevau-légers » rejoignent par conséquent les poubelles de l’histoire.

Dans les années 1880, l’extrême droite entame sa transformation : elle fait ainsi partie de la coalition hétéroclite qui soutient le général Boulanger, en qui elle voit un homme providentiel, susceptible de permettre une Restauration monarchique, mais encore d’être un « général Revanche » menant une guerre victorieuse contre l’Allemagne. Parmi les boulangistes les plus convaincus, se trouvent Paul Déroulède et sa Ligue des patriotes, premier véritable mouvement nationaliste de la droite extrême. C’est en effet à cette époque que les idées de nation et de patrie, nées plutôt à gauche sous la Révolution française, sont confisquées par la droite la plus radicale : le nationalisme se fonde alors sur le rejet de l’autre, de l’immigré, du « métèque » et bientôt du Juif. À la suite de Déroulède, Charles Maurras défend, dans son mouvement, l’Action française, qu’il fonde en 1898, un « nationalisme intégral », réclamant le rétablissement d’une monarchie chrétienne et vomissant la République, les francs-maçons, les étrangers et les Juifs. Les Juifs sont en effet devenus une nouvelle cible privilégiée de l’extrême droite. L’Affaire Dreyfus offre une tribune de choix à cette extrême droite antisémite. Au tournant du siècle, l’extrême droite a donc achevé sa mue : elle n’est plus seulement contre-révolutionnaire, elle est aussi xénophobe, antisémite, et n’hésite plus à déverser ses torrents de haine dans de nombreux journaux, comme l’hebdomadaire L’Antijuif – ou le quotidien L’Action française. Quand la Grande Guerre commence, en 1914, la plupart de ses membres se rangent aux côtés de l’Union sacrée, non pas pour défendre une République honnie, mais pour que la France prenne enfin sa revanche contre les Allemands et mène une sorte de croisade catholique contre les hérétiques teutons. Le conflit est déclenché quelques heures après l’assassinat d’un infatigable avocat de la paix : le 31 juillet, Jaurès est assassiné au Café du Croissant par un ultranationaliste illuminé nommé Raoul Villain. La boucherie qui en découlera va accélérer la métamorphose de l’extrême droite.

......mais c'est une autre histoire que je vous raconterai jeudi prochain

                 

 

 

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies nous permettant par exemple de réaliser des statistiques de visites.