Alors que l'école manque de profs et de moyens, qu'elle reproduit de plus en plus les inégalités sociales existantes et persistantes, reléguant la France au fin fond du classement pour la qualité de son enseignement, notre nouveau ministre de l'Education, Gabriel Attal, sitôt installé, se penche, se mobilise et communique sur un sujet qui lui semble  bien plus urgent et autrement essentiel pour l'avenir de nos enfants, celui du port de l'Abaya !

Alors là, chapeau l'artiste ! Une rentrée superbement réussie...pour détourner l'attention et pour brosser dans le sens du poil la frange la plus réactionnaire de l'échiquier politique!  On appelle cela la tactique du billard à trois bandes : faire exploser la gauche, se rapprocher de la droite et capitaliser électoralement. Et tout ça au nom de la laïcité ! Mais relisez la loi, Monsieur le Ministre, vous avez tout faux !

Petit rappel historique : la loi de 1905, qui fonde la laïcité en France, est une loi d’apaisement, de compromis, votée dans un contexte d’opposition aigüe entre des anticléricaux radicaux et l’église catholique. C’est aussi une loi de rupture avec le Concordat, affirmant clairement la souveraineté de lÉtat. Elle s’appelle « Loi de séparation  concernant les Églises et l'État». Elle garantit la liberté religieuse tout en se protégeant des intégristes de tous poils et de leur volonté d’emprise sur une partie de nos concitoyen.nes.

L’article 1 découle directement de cet esprit : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes .... »

La loi de 1905, c’est donc d’abord la réaffirmation de deux libertés : celle de croire ou de ne pas croire et pour les croyants, celle de pratiquer leur religion. La laïcité n’est donc pas une arme de guerre contre les religions, ni contre les croyants. Attaquer la liberté religieuse se retourne toujours contre les défenseurs de la laïcité, faisant des victimes collatérales nombreuses, et en particulier les femmes.

Dans les établissements scolaires, la loi de 2004 qui interdit les signes religieux « ostensibles » a rendu les choses confuses. Elle fut adoptée dans un contexte de fortes tensions et instrumentalisée par Sarkozy au nom des « troubles à l’ordre public », même si certains l’ont défendue pour protéger les jeunes filles musulmanes des pressions de la cité, des garçons qui les traitaient de « putes » parce qu’elles ne voulaient pas se voiler et des autorités religieuses. Force est de constater que cette loi n’a pas réglé les problèmes de prosélytisme dans les établissements scolaires. Elle a probablement rempli son rôle de garantie d’un espace de liberté. En revanche, elle a focalisé les débats sur la question du voile, qui continue d’être instrumentalisé par l’extrême droite, une partie de la droite et de la gauche et pollue les débats depuis lors.

Elle a surtout brouillé le message principal de la loi de 1905 qui ne concerne que l'État, ses agents, pas les usagers des services publics. C'est donc l'État et ses représentants qui doivent observer une stricte neutralité religieuse, les enseignants par exemple, pas les élèves ni leurs parents.

Mais qu’il n’y ait pas d’ambiguïté : les intégristes religieux de tous bords sont des ennemis politiques. Qu’ils soient catholiques, juifs, musulmans ou évangélistes, leur projet de société est fasciste et liberticide pour toutes et tous, en particulier pour les femmes. Il faut lutter politiquement contre eux, partout, tout le temps et avec tous les moyens nécessaires.

Lutter contre les religions elles-mêmes est un autre combat qui n'a rien à voir avec la laïcité. C'est un combat contre l'obscurantisme, contre les dogmes archaïques, les interdits spirituels primitifs, un combat pour permettre de réfléchir et de penser en toute liberté. Un combat contre le culte des dieux et la vérité révélée.

Alors que cherche donc notre ministre ? Lutter contre le prosélytisme en le faisant peser désormais sur les épaules de chaque jeune musulmane qui porterait un vêtement qui ne serait même pas un vêtement religieux d'après  les autorités musulmanes ? On peut quand même se demander pourquoi porter ce vêtement maintenant. Il est vrai que les voies de la mode sont impénétrables.

Ceci  dit, dans un combat qui génère fuite en avant, contrôle, surveillance et flicage, personne n'en sortira grandi, et surtout pas la laïcité !

Jusqu’où ira-t-on dans l’obsession de cette laïcité mal digérée ? On va bientôt mesurer la longueur des jupes des filles ? On va interdire aux adolescentes de cacher leur corps si elles le désirent ? Et après ? A force de brandir la laïcité et la République au nom de tout et de n’importe quoi, on les vide de leur sens. Et c’est toujours aux femmes qu’on demande des comptes : pas assez vêtue (pour rappel, la croisade ridicule de Jean-Michel Blanquer contre les crop-top et pour une « tenue républicaine ») ou trop aujourd'hui avec l'Abaya. On le sait, on le voit et pas qu'en Afghanistan ou en Iran, le contrôle du corps des femmes a toujours été un enjeu pour les sociétés patriarcales.

La loi de 1905, rien que la loi de 1905, toute la loi de 1905. Elle se suffit à elle-même !

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