Dominique Noguères, avocate, est très connue pour son implication dans la défense des sans papiers. Elle est aujourd'hui vice-présidente nationale de la Ligue des Droits de l'Homme. Nous l'avons rencontrée à l'occasion de son passage à Béziers le 26 mars dernier.

Chez les Noguères, la résistance est une affaire de famille. Son grand père député SFIO fut un des 80 députés qui refusèrent les pleins pouvoirs à Pétain. Devenu résistant, il retrouva son fils Henri dans les maquis de Lozère. Ce dernier fut président de la Ligue des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1975 à 1984. Sa fille, Dominique Noguères, est devenue elle-même vice-présidente national de la LDH. Nous l'avons rencontré à l'occasion de son passage à Béziers le 26 mars dernier. Entretien.

Robert Martin :   La ligue des droits de l'homme organise ce samedi 26 mars à Béziers, une manifestation avec un objectif simple et clair : Non à l'extrême droite !

Dominique Noguères : Non à l'extrême droite mais surtout combattre les idées de l'extrême droite parce qu'on se rend compte que ces idées se sont instillées depuis des années dans la société française, qu'elles ne paraissent plus dangereuses, qu'elles paraissent même tout à fait  acceptables pour une grande partie   de la population. C'est contre cela qu'on a décidé aujourd'hui d'organiser cette rencontre avec trois tables rondes (1) pour essayer à la fois de décortiquer un peu le discours de l'extrême droite qui est pour nous à la fois pernicieux et dangereux et pour essayer de faire comprendre que ce discours est totalement à l'opposé des valeurs de la République et de celles que La Ligue des Droits de l'Homme défend. C'est vraiment le sujet de cet après-midi.  Il ne s'agit pas de décrier x, y ou z mais vraiment de parler de cette montée en puissance de ces idées d'extrême droite.

RM : Depuis plusieurs dizaines d'années on assiste à cette lente montée aussi  sur le plan électoral et en 2002 Jean Marie Le Pen se qualifie même pour le 2ème tour de l'élection présidentielle. Aujourd'hui, les sondages, même s'il faut rester prudent, annonce l'extrême droite à 30%, du jamais vu !

DN : jamais vu vous, avez raison, depuis avant  la guerre ! L'extrême droite existait évidemment avant la guerre, elle était puissante. Mais il existait des espèces de barrières qui se faisaient et des limites à ne pas dépasser. Aujourd'hui on a l'impression que l'extrême droite, ce sont des idées comme les autres, les partis d'extrême droite des partis comme les autres. On nous explique que c'est de la démocratie, que tout le monde doit s'exprimer. Peut-être mais il n'empêche que nous considérons que nous avons à démonter toutes ces idées. C'est le travail qui va être fait cet après-midi avec différentes approches. C'est vraiment quelque chose qu'on avait déjà commencé à faire lors de la manifestation du 3 juillet dernier à Perpignan  lors du congrès du Rassemblement national. Je crois que c'est vraiment un travail qui n'aboutira peut-être pas tout de suite mais sur lequel nous devons continuer en tout cas à travailler.

RM : Pour vous les droits de l'homme et l'extrême droite, c'est antinomique?

DN: Complètement ! Ce sont des valeurs complètement opposées. Nous défendons des valeurs de fraternité, de collectivité, de liberté. Je ne pense pas du tout que l'extrême droite défende les mêmes. Je pense même au contraire. Leur objectif, c'est monter les gens les uns contre les autres, expliquer qu'il y en a des mieux que d'autres et c'est tout à fait l'inverse du type de société que nous défendons .

RM : Ce n'est donc pas un hasard qu'on soit à Béziers.

DN : ... et je pense effectivement que ce n'est pas un hasard que nous soyons à Béziers ! En fait, c'est le comité régional de La Ligue des droits de l'Homme du Languedoc Roussillon, région où se trouvent trois villes qui sont tenues par l'extrême droite, Perpignan, Béziers, Beaucaire et puis d'autres qui ne sont pas bien loin, qui a choisi ce lieu. C'est pour cela qu'on est là aujourd'hui.  On a un vrai travail de terrain à faire.

RM : Quand on regarde l'histoire glaçante de l'extrême droite depuis la Révolution Française (2), on se rend compte qu'elle a amalgamé des courants très très divers. Aujourd'hui à Béziers, on le voit bien avec des courants nationalistes, des courants Algérie Française, des courants presque royalistes. Mais on retrouve dans cette diversité toujours le même levier, on profite de la misère sociale.

DN : Bien sûr ! C'est la misère sociale qui fait le terreau de l'extrême droite, on le sait très bien d'où la nécessité de créer une société qui soit beaucoup moins inégalitaire avec beaucoup plus de fraternité et d'égalité. Je crois que c'est aussi là-dessus qu'on doit travailler. C'est cela la déconstruction des idées d'extrême droite. Croire que , sous prétexte qu'on va voter pour l'extrême droite parce qu'on est dans la panade, tout va s'arranger, c'est un discours qui est faux ! Je crains que les gens n'aient de très grandes désillusions à la sortie. On ne peut pas perpétuellement monter les gens les uns contre les autres  et exploiter cette misère sociale. Même si nous ne sommes pas un parti politique, nous avons des valeurs à défendre. Ce qui est très inquiétant, c'est la banalisation . Aujourd'hui cela ne fait plus peur ! Marine Le Pen est une femme politique comme les autres et  elle a sa liberté de parole. Mais d'autres questions se posent, sur la presse et sur la manière dont les médias aujourd'hui gèrent cette situation. La chaîne dont fait partie M. Zemmour diffuse 24h/24h des propos qu'on pourrait tout à fait condamner et sur lesquels il faut rester très vigilant. C'est aussi une forme d'intox de la population qui banalise complètement ces idées. C'est contre tout cela aussi qu'on se bat et qu'on va continuer à mener ce combat même s'il prend du temps. J'ai des parents qui ont été résistants, qui se sont battus contre l'extrême droite celle qui collaborait avec Vivhy, mon père a fait partie de la libération de Béziers, il a même un rond-point qui porte son nom (3) donc je me sens tout à fait légitime de me retrouver aujourd'hui à Béziers. L'erreur qu'on laisse croire, c'est que des gens d'extrême droite était dans la Résistance, il y en eu, peu, car la plupart était quand même du côté de Pétain et de la collaboration.

RM : Tout au long du siècle, l'imagination a été au pouvoir pour toujours  trouver le bon bouc-émissaire et cette recherche du bouc-émissaire perdure. Les italiens, les polonais, les espagnols, les juifs et aujourd'hui ?

DN : ...et aujourd'hui les musulmans ! et tout ce qui vient des pays du Maghreb, du Moyen Orient.  C'est vrai que sur la question des migrations, même si Robert Ménard a fait marche arrière dans son discours récemment qui est une parfaite stratégie politique pour se faire passer pour moins extrémiste que Zemmour, le fond reste le même. Au Rassemblement National, il est clair qu'on va nettement préférer ceux qui viennent d'Ukraine et qui ont bien le droit de pouvoir  trouver asile chez nous mais comme les autres, ni plus ni moins. Ces autres ont les mêmes droits aussi de pouvoir voir leur vie améliorée en venant chez nous.

RM : c'est ça le racisme non ? Si on est blanc et chrétien, c'est mieux que si on est basané et musulman !

DN : C'est très clair ! C'est inadmissible en tout cas dans la société à laquelle nous aspirons et les valeurs que nous défendons 

RM : Merci, bienvenue à Béziers et bonne après-midi !

 DN : C'était un grand plaisir !

(1) Tables rondes diffusées dans l'émission Allez savoir ! sur Radio Pays d'Hérault le mardi 5 avril à 19h15, rediffusion samedi 9 avril à 16h (https://www.rphfm.org/allez-savoir-comment-combattre-les-idees-dextreme-droite-comment-defendre-les-droits-et-les-libertes-tables-rondes-de-la-ldh/)

(2) Série de trois chroniques sur l'histoire de l'extrême droite, publiées dans Envieabeziers.info

https://www.envieabeziers.info/extreme-droite/une-autre-histoire-l-histoire-glacante-de-l-extreme-droite-1-de-1789-a-1914

https://www.envieabeziers.info/extreme-droite/une-autre-histoire-l-histoire-glacante-de-l-extreme-droite-2-de-1914-a-1972

https://www.envieabeziers.info/extreme-droite/une-autre-histoire-l-histoire-glacante-de-l-extreme-droite-de-1972-a-nos-jours

(3) Rond-Point Henri Noguères, face à l'ancienne cave coopérative à Béziers