Une autre histoire – 3 mars 1996 : disparition de Marguerite Duras

par | 2 mars 2022 | Culture

Le 3 mars 1996, voilà exactement 26 ans, Marguerite Duras, écrivaine, dramaturge, scénariste et réalisatrice nous quittait à l’âge de 81 ans. Plus peut-être que pour aucun autre écrivain, la biographie de Marguerite Duras est essentielle pour la lecture et la compréhension de ses textes.

L’un des ses tout premiers romans, Un barrage contre le Pacifique en 1950, est le récit assez exact de son adolescence en Indochine, où elle est née en 1914. Son père et sa mère s’étaient installés aux colonies avant la naissance de leurs trois enfants. Son père meurt quand elle a 5 ans et sa mère, institutrice doit alors trouver un travail supplémentaire pour nourrir ses enfants. Elle achète une petite concession mais chaque année, l’océan déferle sur la terre cultivée. Elle élève alors un barrage contre le Pacifique; il s’écroule et la mère désormais ruinée se laisse mourir. Marguerite Duras n’oubliera jamais cette tragédie dont le symbolisme atroce est présent à tous moments dans ces textes ! Cette eau destructrice hante son écriture; et livre après livre, film après film, elle n’a cessé de rouvrir ce passé colonial.

Jusqu’à Moderato cantabile, en 1958, où elle s’associe au groupe du nouveau roman,  elle a essentiellement écrit des récits inspirés du roman moderne américain ou existentialiste. Mais c’est essentiellement à partir du Ravissement de Lol. V. Stein en 1964 qu’elle semble trouver son écriture propre. Lacan a rendu hommage à ce livre qui est vite devenu une référence de la littérature psychanalytique et de certains textes féministes. Pour Duras, une écriture risquée :  » Je me souviens, dit-elle, que j’écrivais et tout d’un coup, j’ai entendu que je criais parce que j’avais peur …

Le cri est le point de rencontre de deux mots dont Marguerite Duras a fait les formules de son œuvre : l’amour et la destruction. Au centre de tous ses livres, la relation amoureuse de la mère et du fils. De cet amour  dominant, primitif, Anne Marie Stretter dans « India Song »  est le symbole : à la fois mère et prostituée : »Elle est à celui qui la veut, Elle éprouve ce que l’autre éprouve »., Exposée, offerte au regard, elle est étrangère à elle-même. Détruite dans son existence propre, elle détruit et porte la mort. Image même de Marguerite Duras, elle aussi toute entière abandonnée à son lecteur  sans réserve, fascinée et fascinante.

Cette destruction par les femmes dans laquelle Marguerite Duras voyait en 1969 une solution révolutionnaire tend à évoluer vers un éloge de la passivité féminine et une certaine forme de régression.

Cette année-là, elle passe à la réalisation cinématographique avec « Détruire, dit-elle« ,  tout un programme. Ce film célèbre le culte du néant sur fond de voyeurisme. Tout est décrit sur fond d’absence. Un brouillard enveloppe les personnages qui se débattent maladroitement pour continuer à vivre.

En 1972 paraît  un nouveau film « Nathalie Granger« , , puis Marguerite Duras  écrit tour à tour « India Song« , un drame d’amour fou d’une suprême élégance et « La Femme du Gange« , deux œuvres qu’elle tourne au cinéma.

Période prolifique, période aussi de la reconnaissance : elle tourne, elle écrit, elle multiplie ses activités  et en 1984 elle publie L’amant, un roman largement autobiographique, reprenant la trame de son enfance qui obtient le prix Goncourt. C’est une œuvre complexe ; il ne faut pas seulement y voir l’histoire d’une jeune fille qui trouve un riche amant chinois et qui a des difficultés familiales. L’adaptation de Jean-Jacques Annaud ne se fonde que sur cela, c’est pourquoi Marguerite Duras, n’y retrouvant pas le message qu’elle voulait faire passer, n’est pas « satisfaite ». En réponse au film de Jean-Jacques Annaud, Marguerite Duras réécrit son autofiction et le nomme : L’amant de la Chine du Nord. L’Amant est un véritable récit de formation. L’héroïne a des obstacles à franchir : des interdits. L’écriture de L’Amant exprime les incertitudes de cette quête de soi et la volonté de diriger seule sa vie.

Ses derniers textes ont des titres symboliques :  « Ecrire » publié en 1993, court recueil de textes autour de l’écriture et de la solitude de l’auteur. Et « C’est tout » en 1995 son dernier livre où elle raconte l’essentiel de ce qui fait sa vie comme pour mettre un point final au grand roman de son existence.

Marguerite Donnadieu, dit Marguerite Duras s’éteint le 3 mars 1996 à son domicile parisien de St Germain des Près.

Le style de Marguerite Duras est celui de la parole écrite, d’une parole qui serait passée par la contrainte de l’écrit. « J’écris, voilà. J’entends des mots, l’endroit se ferme, les voix s’affaiblissent. Il faut alors que je fasse très attention à ne pas perdre les mots » .

Un principe unique la guide : la recherche d’une écriture qui, tout en respectant ses propres lois, accueillerait aussi la parole et l’image ! Car le texte est déterminant chez Duras. Le roman, la pièce de théâtre ou le film n’en sont que la réalisation ! Son œuvre tout entière trouve sa place dans l’écart de la parole et de l’image. L’écriture serait cet écart.

Qui était vraiment Marguerite Duras ?

Experte en autobiographie, professionnelle de la confession, elle a pris tant de masques et s’est tellement plu à brouiller les pistes qu’il est difficile de distinguer la vérité de la fiction.

Plus tu refuses, plus t’es opposé, plus tu vis ! disait-elle une belle philosophie que devraient méditer tous les partisans de la résignation

………mais c’est une autre histoire

Version audio de cette chronique à écouter sur Radio Pays d’Hérault, cliquez ICI

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