Quand et comment, le centre bourgeois fait appel à l’extrême droite ? (3/6)

par | 1 juin 2025 | Histoire

C’est un gouvernement de coalition entre le centre, la droite et l’extrême droite qui a propulsé Hitler au pouvoir en 1933 en Allemagne. Le « centre bourgeois » très affaibli électoralement, pensait que sa survie politique était liée à une coalition dont il tiendrait les rênes. Comprendre cet échec passé, c’est se donner les moyens de peser sur le présent.

L’austérité (3/6)

Printemps 1929, six mois avant le début du krach financier mondial, Heinrich Brüning, économiste classé à droite est convié à une rencontre secrète pour explorer les contours d’une collaboration.

Il apprend que le président Hindenburg ne supporte plus les sociaux-démocrates.

Il apprend aussi que le président est décidé à remettre le pays en ordre sans contrevenir à la constitution. Pour cela il envisage de « renvoyer le parlement à la maison et de gouverner avec l’aide de l’article 48 ».

Brüning est un conservateur monarchiste bon teint. Il est devenu un « républicain de raison » qui n’a jamais accepté la révolution de 1918 – 1919 et la république de Weimar qui lui a succédé.

Cet entretien secret est suivi d’une première rencontre avec Hindenburg en décembre 1929, lors d’une réception chez le chancelier du Reich alors en place, Hermann Müller.

Celui précisément qu’il convient de remplacer, voire de renverser.

Tout est donc en place lorsque le cabinet Müller démissionne.

Hindenburg confie à Brüning qu’il veut un gouvernement pleinement « antimarxiste » et « antiparlementaire », c’est-à-dire « sans négociations de coalition ni accord » et surtout sans sociaux-démocrates, dont la présence au pouvoir lui est devenue intolérable.

Le 1er avril 1930 pour sa nomination comme chancelier du Reich, Brüning prononce une déclaration de politique générale totalement alignée sur les exigences présidentielles.

Il revendique pêle-mêle :

  • Un cabinet technique, qui fera une action rapide,
  • Un « assainissement de la situation financière et de la trésorerie »,
  • Une simplification administrative.

Brüning réagit à la crise financière, économique et budgétaire en appliquant une politique d’austérité qui est parée du nom de « réforme ».

Pour ne pas risquer d’être mis en minorité au Reichstag, Hindenburg et Brüning transforment le projet de loi financière et sociale en « ordonnance d’urgence ».

En l’absence d’un juge de paix, sous la forme d’une cour constitutionnelle, qui n’existe pas en Allemagne à cette époque. L’opposition peut annuler les décisions gouvernementales en faisant appel au parlement.

C’est chose faîte le 18 juillet 1930. Une motion est déposée par le SPD.

Majoritaire par 256 voix sur 491 elle annule l’ordonnance présidentielle.

En réaction le parlement est dissous par Hindenburg le jour même. On peut dater la mise en place de l’hyper présidence à partir de cette date.

La dissolution est un pari risqué en cet été 1930. Le chômage a fortement augmenté sous les coups de l’austérité et le gouvernement est impopulaire.

Les élections du 14 septembre 1930 sont un échec pour Brüning. Son parti perd 400 000 voix et se retrouve avec 68 députés sur 491.

La « coalition nationale » du centre de la droite libérale et conservatrice ne représente que 35 % contre plus de 50 % dans la législature précédente.

Le gouvernement ne peut plus légiférer et il évite les motions de censure que si et seulement si les sociaux-démocrates le soutiennent.

Ceux-ci inaugurent une politique de tolérance gouvernementale à l’égard du chancelier et de son programme de purge budgétaire et sociale. Ils alimentent ainsi la dénonciation sectaire de « sociaux – fascistes » prononcée par le KPD le parti communiste allemand.

Certains au SPD vont même jusqu’à théoriser « qu’il faut laisser la droite et l’extrême droite arriver au gouvernement ».

Le gouvernement va légiférer à coups de décrets mais il ne doit sa survie politique qu’aux bonnes grâces du SPD.

Les sociaux – démocrates, béquilles de la droite et d’une politique de purge austéritaire sans précédent : la République de Weimar est décidément pionnière voire matricielle.

Le 6 octobre 1930 Brüning a un entretien avec Hitler pour explorer les convergences possibles.

Il en retient qu’une coopération est possible au niveau régional mais pas national.

Quand ils gouvernent ensemble dans les régions, les nazis demandent et obtiennent de la droite le ministère de l’Intérieur.

Malgré cet avertissement le SPD fait systématiquement opposition à toute perspective de censure.

La série d’ordonnances se poursuit, amplifiant l’austérité : augmentation des impôts, hausse des taxes sur la consommation, baisse des salaires de branche, coupes drastiques dans les dépenses sociales.

Le gouvernement Brüning démissionne le 9 octobre 1931.

Hindenburg souhaite un nouveau gouvernement qui soit débarrassé du centre et qui s’articule sur une coalition droite – extrême droite. Il reconduit Brüning autour d’un gouvernement droitisé et ramassé.

En 2024 en France Macron a refusé de gouverner avec le NFP, il a ensuite formé une coalition avec la droite extrême. Ira-t-il jusqu’à gouverner avec l’extrême droite et lui donner le pouvoir ?

P.S : cet article est rédigé à partir de notes de lecture de l’excellent livre de Johann Chapoutot intitulé « Les irresponsables, qui a porté Hitler au pouvoir ? », il est publié aux éditions Gallimard, édité en février 2025, il est vendu au prix de 21 euros. Je vous en conseille vivement l’achat et la lecture. Ce livre est totalement d’actualité par les parallèles qu’il dresse et les explications qu’il donne.

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Didier Ribo

Description de l'auteur de l'article - co-fondateur du journal majoritaire de Béziers